Cher Georges
Cela fait longtemps que j'avais pensé venir vous rendre un jour une petite visite. Lorsque j'ai su que j'allais dans votre région, il m'était alors impossible de partir sans venir au moins une journée à Sète. C'est la ville où vous êtes né, dans cette maison toute droite, plantée au bord d'une rue qui plonge vers le centre-ville ; dans ce quartier populaire peu fréquenté par les touristes, un peu décrépi, un peu à l'écart. Votre maison ne paie pas de mine et, pourtant, elle m'a émue. Elle m'a essoufflée aussi, parce qu'il se faut se farcir une belle côte pour y accéder. Elle ne m'a pas coupé le souffle, n'exagérons rien. Je ne suis pas allée visiter le musée qui vous est dédié, vous me le pardonnerez. D'ailleurs, en seriez-vous enchanté ? Il faisait beau. J'ai préféré me promener le long des quais, voir les bateau, aller jusqu'au phare et goûter à la gastronomie locale. La tielle sétoise, les fruits de mer, les fruits et les légumes gorgés de soleil, le poisson grillé. Mes papilles étaient aux anges. J'ai choisi un restaurant qui ne payait pas de mine, un devant lequel aucun rabatteur n'était posté. La dame était discrète. La décoration sans chichis et la cuisine maison. Je m'y suis sentie bien. La terrasse était presque vide. On était tranquille.
Je la trouve belle, votre ville de Sète. La couleur bleue domine, la mer Méditerranée est partout. Elle a une allure de carte postale. Elle ressemble aux photographies que je découpais dans les magazines et que je collais dans un cahier pour me faire un vrai faux carnet de voyages, une antichambre de mes rêves d'aventures. D'être là, sur le port, face à cette vue réelle cette fois, ça m'a collé le frisson, cher Georges. Je crois que votre présence n'y est pas étrangère. C'est du Mont Saint Clair qu'on a le meilleur panorama. C'est un beau quartier, un quartier riche, il me semble, avec des villas dissimulées sous la végétation. Le silence domine. L'agitation de la ville est bien loin. D'ailleurs, la route qui y mène est une véritable route de montagne. De là-haut, on voit le port de commerce, la ville, les étangs, les collines et surtout la mer. C'est un peu elle la star, finalement. Si elle n'était pas là, Sète aurait peut-être moins de charme.
On a mis un peu de temps à trouver votre dernière demeure. On est d'abord allés au cimetière marin. Vous n'y étiez pas, on s'était trompés. L'erreur est humaine et elle a souvent le mérite de nous faire découvrir des endroits où nous n'aurions pas mis les pieds si nous avions suivi un itinéraire sans détours. Bref, votre cimetière, celui où vous êtes enterré, est ombragé par de grands pins. Il y avait un couple devant la pierre, seulement deux personnes. C'était émouvant. Cependant, ce n'est pas là que je vous ai senti le plus proche. C'est plutôt en longeant la corniche, cher Georges, que je vous ai trouvé. J'ai repensé à vos vers, à cette supplique, à ce poème et, intérieurement, je vous ai remercié. D'avoir écrit cela. D'avoir existé. D'être encore là.
Juste au bord de la mer, à deux pas des flots bleus,
Creusez, si c'est possible, un petit trou moelleux,
Une bonne petite niche,
Auprès de mes amis d'enfance, les dauphins,
Le long de cette grève où le sable est si fin,
Sur la plage de la Corniche.
Cher Georges, je termine cette lettre mais je ne suis pas triste. Je repense à vous, à Sète, à ce bleu prédominant, bleu ciel, bleu mer, bleu lumière. Je vous fais un clin d'œil. Je reviendrai un jour. Un jour de pluie, pour voir si Sète aussi est mélancolique quand il fait gris.