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De la glace à la terre ferme, revivre après un viol

Publié le 07 août 2018 par Marcel & Simone @MarceletSimone
De la glace à la terre ferme, revivre après un viol

Nuit noire de mai  

Par un beau dimanche de mai, Adélaïde, neuf ans, se fait accoster par un inconnu en rentrant chez elle. Il la suit et la viole dans la cage d’escalier de son immeuble. Ses parents portent plainte avec elle au commissariat de police, mais la mémoire de cet événement semble s’effacer au fil du temps. Années après années le mal être et la culpabilité s’installent sans qu’elle sache pourquoi. Crises de boulimie, chutes brutales, dissociation, haine de soi. Seul un travail laborieux, seule une enquête incessante, seules l’expérience du théâtre, la fréquentation de nombreux thérapeutes et psychologues finiront par la mettre sur la voie. C’est d’ailleurs la découverte du travail de la psychiatre Muriel Salmona, auteure du Livre noir des violences sexuelles (Éditions Dunod, 2013) qui sera décisive pour prendre conscience des conséquences et de la gravité des faits. Enfin, coup du sort, l’arrestation et le procès du violeur en série dont elle a été la victime permettront d’amorcer une guérison douloureuse.

De la glace à la terre ferme, revivre après un viol

Remettre sa vie à l’endroit

La petite fille sur la banquise est un récit sombre, parfois lumineux, cru et poétique, dont la prose travaillée cherche à faire ressentir au lecteur les « méduses » d’Adélaïde. Celles-ci vont, viennent, piquent sans qu’on les voie et servent de métaphore pour désigner la douleur physique et psychologique qui l’a imprégnée pendant de nombreuses années. Heureusement, les mots sont là pour remettre la vie à l’endroit, retrouver l’équilibre et y voir plus clair. Ainsi, elle rejette le mot « pédophile » couramment utilisé : l’« ami des enfants » est un mot daté, qui signifie le contraire de ce qu’il veut dire et correspond insidieusement aux discours auxquels les violeurs ont recours (« je suis ton ami », « je vais te donner des bonbons » etc). Elle le remplace donc par « violeur » ou « pédocriminel sexuel ». Elle fait également requalifier sa plainte pour « attouchements sexuels » en plainte pour « viol », après avoir compris que celui-ci implique toute forme de pénétration. Cette substitution qui semble se jouer seulement sur le papier est comme une bouteille d’oxygène pour un asphyxié: « Viol, quatre lettres et dedans, mon billet retour pour la terre natale », « Les mots dessinent l’horizon de nos pensées ».

De la glace à la terre ferme, revivre après un viol

Un livre militant  

Si La petite fille sur la banquise est le récit d’une expérience intime qui coïncide avec la naissance d’une vocation d’écrivain, c’est avant tout un livre militant, adressé aux autres victimes et à la société. Dans des pages cinglantes issues du récit du procès, Adélaïde Bon liste les noms des femmes qui n’ont pas pu en faire partie et fait entendre la voix des victimes qui se trouvaient à ses côtés, érigeant ainsi un monument littéraire à la mémoire de celles dont le destin fut ravagé.

Le récit est dur, triste, terrible à lire, mais il est encore plus terrible d’y apprendre que les faits racontés ne sont pas rares : en France, un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles et développe dans de nombreux cas un syndrome post-traumatique. Celui-ci peut conduire à une amnésie totale ou partielle concernant les faits, d’où la nécessité de rallonger la prescription en matière de viol, mais aussi de sensibiliser le corps médical et juridique, qui est souvent ignorant en la matière. Enfin, l’essentiel est de ne pas faire du viol un tabou, d’en parler et de le prendre en charge, car « une victime correctement soignée guérit ».

La petite fille sur la banquise, récit d’Adélaïde Bon, paru aux Éditions Grasset le 14 mars 2018, 256 pages, 18,50 €.


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