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Son 2e album Kebrada : « une cartographie du Cap-Vert »

Publié le 07 août 2018 par Africultures @africultures

À 25 ans, la chanteuse Elida Almeida offre un deuxième album ancré dans les réalités de son pays, le Cap Vert. Le nom de cet opus, Kebrada, est celui du village où vit sa grand-mère, et où elle aime se ressourcer depuis l’enfance. Entre deux concerts sous le chapiteau du Cabaret Seb au Festival du Bout du Monde à la pointe de la Bretagne (France), début août, Africultures a rencontré la lauréate du prix RFI Musique en 2015. Une artiste d’une grande générosité artistique, n’hésitant pas à faire monter sur scène certains spectateurs pour les initier aux danses capverdiennes, et à les inviter à reprendre en chœur ses compositions.

Que vouliez-vous raconter de votre « chez vous » dans votre deuxième album sorti en octobre dernier chez Lusafrica ?
C’est un hommage que je fais à ma grand-mère avec qui j’ai passé beaucoup de temps. Des moments vraiment heureux. Cet album est un peu différent du premier. Il est un peu plus critique. Dans le premier – Ora doci, Ora Margos, 2014 – je parlais davantage de moi, de mon intimité. Dans celui-ci je suis allé plus loin en parlant du Cap-Vert. C’est un peu une radiographie du Cap Vert ; des bonnes comme des mauvaises choses qui s’y passent. Dans cet album, je parle par exemple de la problématique des drogues, des violences domestiques… etc.

À quoi ressemble Kebrada ?
C’est dans les montagnes, sur l’île de Santiago. Il n’y a pas d’électricité jusqu’à aujourd’hui. Quand je vais là-bas, j’oublie tout. Je reste avec ma grand-mère. Les gens sont heureux d’une certaine manière. Il n’y a pas de télé, pas de portable… ils vivent avec ce qu’ils ont. Parfois je me sens jalouse parce que nous, avec toute cette modernité-là, on se perd, on n’a pas vraiment de vie. Aujourd’hui je vis à Praia. C’est complètement différent. À Kebrada, certains ne connaissent même pas Praia, la capitale. Il n’y a rien mais ils ont tout. Tout est bio (rires) là-bas, les gens vivent de leur agriculture. Mon village m’inspire beaucoup pour ma musique. Même quand je n’y suis pas physiquement. Quand je ferme les yeux, je me rappelle, et je suis inspirée. Bien sûr je parle des mauvaises choses aussi qu’il y a à Kebrada. La chanson « Grogu Kaba » par exemple, qui est un funaná, parle de la drogue de chez nous, coupée avec des choses toxiques. Et on voit toute une jeunesse complètement perdue à cause de cela. Je vois des jeunes de mon âge qui sont là mais qui sont déjà presque morts.

Quelles sont vos influences musicales issues du Cap Vert ?
J’ai grandi en écoutant du funaná, du batuque, du tabanka. Ce sont des styles festifs, dansants. C’est différent de ce que le monde a connu du Cap Vert à travers Cesaria Evora par exemple. Grâce à ces rythmes dansants et festifs je fais passer des messages, pour faire réfléchir les gens, pour les inviter à faire des choses pour le pays et ne pas attendre tout du gouvernement par exemple.

Quelle est la spécificité des airs de tabanka dont vous vous inspirez et dites que c’est une culture malheureusement qui est en train de disparaitre ?
Le tabanka, le traditionnel, est mis en valeur notamment chaque année, pendant une journée avec des défilés, des sons… Ce n’est pas que la musique, c’est aussi toute une culture vestimentaire et des traditions. J’essaie un peu de montrer ce qu’est la culture tabanka dans le clip « Bersu d’Oru » par exemple. Mais on n’a pas pu tout montrer car la culture tabanka est très riche. J’ai essayé de prendre le tabanka, d’extraire des choses et en même temps de mettre aussi d’autres rythmes pour faire danser les jeunes sur ces musiques qui sont considérées comme « anciennes » par beaucoup. On a donné une touche moderne à cette musique tabanka. Et quand je vois en festival les gens danser sur du tabanka, je me dis qu’on a réussi.

Revenons un peu sur votre parcours. Quel était votre rapport à la musique, enfant ?
Nous n’avions pas l’électricité, alors à la fin de la journée, enfants, on s’asseyait et on commençait à jouer ensemble les rythmes batuques sans instruments. Et à danser les rythmes traditionnels. Et puis quand j’habitais à Santiago, mon voisin était le roi du tabanka donc j’ai grandi à voir les défilés, écouter les musiques…

Comment avez-vous démarré votre carrière professionnelle ?
Par hasard (rires). Au Cap vert, dans chaque famille, il y a deux/trois personnes qui chantent et font de la musique. Bizarrement personne dans ma famille ne fait de la musique. Mais moi, oui, depuis toute petite. A 17 ans j’ai gagné un premier concours de chant, un mois après j’ai gagné un deuxième concours. Je les ai gagnés avec mes chansons. Et ensuite ça a été très vite. J’ai commencé à faire des concerts dans des bars et restaurants à Praia, jusqu’au jour où j’ai rencontré mon producteur José Da Silva [1]. Je n’étais pas dans un bon jour, je rentrais de l’école et ça ne se passait pas bien, je n’étais vraiment pas en forme. Et dans la salle j’ai vu José Da Silva. Je n’y croyais pas. Au Cap Vert il y a Dieu et ensuite José (rires) C’est lui qui a produit plein d’artistes dont Césaria Evora. À la fin du concert il m’a dit vouloir travailler avec moi. Je l’ai connu au mois de mars, et en juin je commençais à enregistrer, ça a été vite.

En 2015 vous gagnez le prix RFI et alors une tournée sur le continent africain.
J’ai tourné pendant 3 mois, nous avons fait 16 pays. C’était une première pour moi parce que la réalité c’est qu’il m’est plus difficile malheureusement de faire une tournée sur mon continent que d’en faire une en Europe.

Votre deuxième album a été en partie réalisé lors d’une résidence en Côte d’Ivoire.
J’aime beaucoup la Côte d’Ivoire, il y a des fruits partout, c’est vert… mais il fait trop chaud (rires), toute l’année il fait chaud. J’y suis restée un mois, j’ai composé beaucoup, on a fait toutes les pré-productions de l’album. « Bersu D’Oru » par exemple je l’ai écrite là-bas. Cet album est aussi un résultat de la tournée africaine, de tout ce qu’on a entendu comme musiques, sons, de ce qui nous a nourri sans même nous en rendre compte.

Vous disiez donc que votre premier projet était très intimiste, le deuxième davantage une cartographie du Cap-Vert. Avez-vous déjà une idée de la couleur du prochain projet ?
Franchement je n’y pense pas encore. Mon dernier album est sorti il y a à peine un an, nous sommes toujours en tournée. Nous avons fait pleins de concerts. On revient là des Etats Unis, du Canada… Mais je commence à penser à un single. Je compose bien sûr, toujours, j’écris. Quand la musique vient, elle vient.

Qu’écoute Elida Almeida comme musique en ce moment ?
Je change toutes les semaines (rires). En ce moment, je suis tombée en amour pour Aya Nakamura, j’écoute aussi beaucoup le dernier album de Fally Ipupa, celui de Yemi Alade. Et puis il y a des artistes que j’écoute tous les jours, que ça ne change pas, j’en ai besoin comme Asa, Maria Gadù, Andrea Bocelli, Adele, Cesaria Evora…

[1] José Da Silva est un producteur cap verdien, directeur du Kriol Jazz Festival et aujourd’hui directeur de Sony Music Entertainment Côte d’Ivoire.


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