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Invisible lumière

Publié le 14 août 2018 par Anargala
Invisible lumièreSuite à mon dernier article, certains auront peut-être noté que je donnais "lumière" comme autre nom de ce que je désigne par "inconscience".Or, comment peut-on rapprocher ces deux termes, apparemment opposés ?En effet, l'inconscience est absence de lumière ; la lumière est, au contraire, révélation, manifestation, clarification, élucidation.Je réponds que non.La lumière rend visible, c'est juste.Mais elle-même n'est pas visible. Je ne dis là rien de choquant. De fait, une lumière qui ne rencontre aucun corps (solide, liquide ou gazeux) sur lequel se réfléchir reste invisible à l’œil. Prenez un espace infini et vide. Raisonnablement vide de tout corps. Allumez une lampe, aussi puissante que vous voudrez : sa lumière restera invisible. Allumez. Éteignez. Vous ne verrez aucune différence dans l'espace. En regardant celui-ci, vous n'aurez même aucun moyen de savoir si la lampe est allumée ou éteinte. Sans lumière, rien de visible, c'est vrai aussi. Mais sans corps, point de lumière visible. La lumière, en elle-même, coure à sa vitesse vertigineuse, immatérielle, sans être visible, comme insouciante de son statut.Bien sûr, vous pouvez tourner votre regard vers la source de la lumière, vers la lampe elle-même. Vous verrez alors la lumière. Mais seulement parce que cette lumière viendra désormais se réfléchir sur votre rétine.En elle-même et à elle seule, la lumière est invisible.Il en va de même pour l'Inconscience (je mets la majuscule pour distinguer de l'inconscience morale, par exemple). Elle est pure lumière révélante. Mais tant qu'elle n'a aucun objet distinct à révéler, elle reste invisible. Voilà pourquoi le sommeil profond, l’évanouissement, le coma et autres "blancs" sont pris pour de l'obscurité. L'Inconscience, ce vaste océan de ténèbres dans lequel baigne ma conscience (c'est-à-dire le centre de mon activité - corps, esprit, parole, souffle, cerveau) est pure lumière, mais lumière qui, pour moi, du point de vue de la Première Personne, ne révèle rien de distinct, c'est-à-dire rien de pratiquement utilisable. C'est donc une lumière, mais une lumière invisible.L'Inconscience est aussi Lumière en ce sens que ma conscience, pour révéler ses contenus, dépend de l'Inconscient, c'est-à-dire de la réalité au sens le plus large possible, incluant les multivers infiniment divers. L'Inconscience, et spécialement l'activité de mon cerveau, est "lumière", en ce sens que c'est grâce à cette activité qui, en cet instant même, m'échappe, que la "lumière" de la conscience est possible. L'Inconscience est la source des pensées, des souvenirs, des sensations, et ainsi de suite. Imaginez-vous sur un petit bateau, au centre d'une grande mer, par une nuit d'encre. A sa proue se trouve un puissant projecteur. Il éclaire un champ de vagues. Mais ça n'est pas la lumière du projecteur qui "éclaire" les vagues, en ce sens que c'est en vérité l'océan, en sa masse mouvante et incommensurable à mes capacités, qui "donne" ces formes et qui, de la sorte, les révèle et les éclaire. La mer, qui m'entour et qui dépasse le champs de ce projecteur, est la véritable lumière. Une lumière ténébreuse.Dès lors, une voie spirituelle serait de se frotter à cette ténèbre, à ces marges, à cet infini qui entoure, à cette Inconscience que je suis, comme l'espace entoure le soleil.Union de la conscience et de l'Inconscience. Union du centre ici avec les périphéries, avec la matrice inconsciente, là-bas, à l'arrière-plan. On peut s'entraîner à ce geste, comme s'allonger ou se laisser aller en arrière, dans ce vide. On peut aussi s'exercer à explorer, avec l'attention, les pourtours du champ visuel. Cela produit instantanément un éveil. Parmi les exercices de la Vision Sans Tête c'est, je crois, le plus puissant. Enfin, il y a des précédents traditionnels, outre la "divine ténèbre" et autres nuages d'inconnaissance. Je pense à présent au couple vidyâ-dhâtu dans le bouddhisme tantrique, et tout spécialement dans le dzogchen. Union de la conscience et de l'espace. D'ailleurs, dhâtu, parfois rendu par "espace" ou "étendue", signifie "source", au sens où l'on parle d'une mine, source de tel minerai. Or, l'Inconscience est la source. Elle est la réalité, source des phénomènes conscients : dharma-dhâtu, symbolisé par le dharma-udaya, le sceau de Salomon des rituels bouddhistes tantriques.Cette fusion ou cette étreinte fusionnante de la conscience et de l'espace, c'est-à-dire de la conscience et de l'Inconscience, est au cœur de la méditation propre au shivaïsme du Cachemire, pratique que je nomme, par commodité, "méditation de Shiva", regards, sens et bouche grands ouverts, comme pour embrasser ou pour "avaler" l'espace. Le corps est ressenti comme une fleur qui s'ouvre peu à peu, qui s'affine jusqu'à la transparence. De cette fusion résulte la Présence, conscience pure, indifférenciée, conscience massive, homogène, intense, présence alerte, inconscience totale - la Lumière (le Soi) et l'Immense (l'absolu, la vacuité) réunis. C'est une pratique extrêmement puissante. C'est le cœur du tantrisme shivaïte et du tantrisme bouddhique, aussi. Dans le dzogchen, c'est la pratique du "dénouement des liens" (trèkcheu, en tibétain phonétique), le cœur du dzogchen, la tradition de l'Infinie Plénitude. Invisible lumière.Éblouissement de l'Inconscience

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