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(Note de lecture), Antoine Emaz, D'écrire, un peu, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

Antoine Emaz  d'écrire  un peuLes lecteurs d’Antoine Emaz le savent : c’est un obstiné, patient, en écoute constante des plus infimes soubresauts des mondes intérieurs comme extérieurs, et de leurs interconnexions. Ce qui bouge dans son écriture bouge imperceptiblement, mais bouge, au diapason de son travail d’écoute ; avec toujours une mise à distance qui évite d’être absorbé. Après des années d’écriture exclusive de poèmes, ou du moins de publications de poèmes, il s’est posé sur les notes dont il remplit ses carnets, depuis Lichen, lichen (Rehauts, 2003) jusqu’à Planche (Rehauts, 2016), plusieurs livres de notes jalonnant son parcours de poète, celui-ci est le huitième, beaucoup plus court que les précédents. Si ses livres de notes s’arrêtent souvent sur les périphéries de l’écriture, jusques y compris les plus lointaines, dans D’écrire, un peu, il recentre et nous invite au cœur d’une réflexion concentrée sur son écriture, mais avec toujours une ouverture sur l’écriture, une réflexion plus globale ; interrogeant aussi ce que sa pratique interroge de l’ensemble d’une pratique. Car s’il est bien un poète qui ne se complaît dans l’autocentrement et encore moins dans l’autovénération, c’est bien Antoine Emaz, qui toujours a souci de l’autre, lecteur anonyme ou poète contemporain.
Et qui a placé « cette émotion appelée poésie » comme devise de son avancée poétique (Pierre Reverdy) ; « atteindre en mots une certaine intensité de vivre », écrit-il, quant à lui. Non pas qu’il faille reproduire la matière première d’une émotion ressentie, éprouvée ou subie dans la réalité, mais à partir de cette première matière, en chercher une équivalente avec les mots : « La poésie n’est pas dans l’émotion qui nous étreint dans quelque circonstance donnée – car elle n’est pas une passion. Elle est même le contraire d’une passion. Elle est un acte. Elle n’est pas subie, elle est agie. Elle peut être dans l’expression particulière suscitée par une passion, une fois fixée dans l’œuvre qu’on appelle un poème et seulement dans l’émotion que cette œuvre pourra, à son tour, provoquer », écrivait Pierre Reverdy dans En vrac. L’émotion brute, Antoine Emaz lui laisse faire son lent trajet jusqu’à la main, « le poète, lui, répond au choc par l’écriture, façon de partager, mettre à distance, mais d’abord trouver prise », car il faut « laisser la vie bouger librement les mots ». Faire écho à la première émotion dans le rythme de l’écriture. C’est à la fois, et paradoxalement, et il le souligne, un long temps d’écoute de sa résonance et d’attente pour quelque chose qui arrive souvent en un surgissement : écoute intérieure, tâtonnement, lenteur du surgissement, élaboration de la forme sont les principales attentions du poète. Avec une lenteur qui peut donner l’impression au profane et au manager ou à l’homme d’affaire ou à l’utilitaire type primaire que le poète, dans son apparence, ne fait rien : « Mais ça, c’est un peu compliqué à expliquer aux autres, que l’on travaille en ne faisant rien ».
L’écoute bien particulière d’Antoine Emaz est l’attente active que se déclare ce qu’il appelle la « force-forme » ; ou quand le surgissement détermine cette forme inconnue au départ ; c’est le soin autour duquel tournent les présentes notes : comment se construit-elle ?:  « Un heurt. Et s’opère une brusque fusion vie-langue qui s’impose pour aboutir à une masse verbale, une force-forme qui sera la matière première du poème. » Cette force issue de l’extérieur serait, voire, ce que dans Prises de mer1 il nomme « une énergie comme résiduelle ». Ainsi, à l’instar de Pierre Reverdy, qu’il cite (« la poésie n’est pas un simple jeu d’esprit »), Antoine Emaz écarte la poésie en tant que technique, qu’elle ne puisse être que cela, « la technique reste vaine seule, sauf à réduire la poésie à un arrangement de mots, ce qu’elle est, mais pas seulement » ; de l’émotion avant toute chose. On peut, sur ce sujet, discuter : exeant en effet les explorations formelles du langage par ce groupe de poètes de la fin du XVème siècle qu’on appela Grands Rhétoriqueurs, ou l’Oulipo et les potentialités langagières hors émotion, ou quand la machine remplace l’homme pour générer du langage, la poésie générative, ou toutes ces techniques issues des temps modernes et qui sont des recherches de langage ? Mais si ces notes de réflexion font le point sur ce qui bouge encore un peu dans l’écriture de l’auteur, elles ont aussi l’heur et la vertu de susciter la réflexion, même contradictoire, du lecteur, elles sont un dialogue sinon un débat établis avec celui-ci. Et Antoine Emaz est attentif au lecteur, lui laissant prise et matière à des disputaisons intérieures, car toujours plane en creux, un léger doute qui fait que rien n’y est dogmatique. Auto-critique, il se défie aussi de son propre savoir-faire : « Les années font gagner un peu en savoir-faire, mais ce dernier enlise aussi parfois. Reproduire ce qu’on sait faire, ce qu’on a déjà fait, rend alors assez dérisoire d’ajouter un livre aux livres ». Nous le disions, Antoine Emaz est attentif à ce qui bouge un peu.
Le titre de ce court ouvrage de notes, qu’on dirait un clin d’œil complice à James Sacré, indique bien la modestie continue d’Antoine Emaz (comme James Sacré), ce « peu » dont il a fait une poétique du dépouillement visant à aller droit vers ce qu’il considère être son essentiel. Et comment une énergie montante, l’intonation montante « D’écrire », comment cet « élan initial » est ralenti par la virgule, puis mesuré par une intonation descendante, « un peu », qui devient cette énergie en continu humble qui caractérise son écriture.
Jean-Pascal Dubost

1 Prises de mer, Le Phare du Cousseix, 2018
Antoine Emaz, D’écrire, un peu, Æncrages & Co, non paginé, 15€.


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