Voilà un rendez-vous qu'on ne manque que rarement, maman et moi, depuis 2009 - eh, oui, nous avons commencé à fréquenter ce festival que depuis que nous sommes parents, étonnant, non ? A part les éditions 2011 et 2016. Chaque année, je scrute la programmation plusieurs mois à l'avance, pour savoir si au moins une soirée proposerait des artistes ou groupes aptes à nous faire déplacer. En 2018, j'ai longuement hésité entre le vendredi et le samedi. Jusqu'à l'annonce de Patti Smith. Daho et Grizzly Bear face à Ariel Pink et Josh T. Pearson : pas facile de choisir. C'est donc une des pionnières du rock féminin qui a fait basculer mon choix. Je ne l'avais jamais vu en concert. Cette année, nous sommes arrivés tôt, même avant l'ouverture du site, pour être sûrs de ne pas rater le premier groupe, Cut Worms. D'autant que la fin de soirée nous branchait moins. Les américains de Cut Worms livrèrent une prestation fidèle à leur unique album : soignée, mélodique, classe. On pense toujours à cette pop américaine des années 60, sorte de country-pop inspirée par les Beatles ou les Kinks. Le problème, c'est qu'on finit quand même par s'ennuyer un peu, les chansons se ressemblent toutes et ça manque de peps pour un festival. Reste que le chanteur a une belle voix. Le claviériste semble être venu en touriste et être complètement ailleurs, tandis que le batteur, au look de prof d'histoire-géographie, arbore un étrange sourire scotché au visage. Une bonne entrée en matière donc mais on attend ensuite quelque chose d'un peu plus consistant.
Qu'on obtient immédiatement avec Josh T. Pearson. Le texan est un showman, ouvertement branleur et prétentieux. Pourtant avec sa coupe mulet et sa casquette de baseball, il ne paraît pas être en position de la ramener. Le garçon se débrouille assez bien en français, du moins suffisamment pour amuser la galerie. Il reprend quelques chansons en version électrique de son premier disque mais surtout des titres de son dernier et magnifique "The Straight Hits". On pense au Springsteen des années 70. Il finit par la sublime "A Love Song (Set me Straight)", candidate évidente à la plus belle chanson de 2018. On aura repéré avant le concert la présence du comique tendance bobo islamo-gauchiste - et vegan par dessus le marché - de France Inter, j'ai nommé Guillaume Meurice, venu dédicacer son livre. On sait qu'il fait aussi partie, à ses heures perdues, d'un groupe rock ironiquement appelé The Disruptives, en réponse au language de tous les pseudos-révolutionnaires libéraux. Arrive ensuite Jonathan Bree et son étrange mise en scène. Le chanteur est accompagné de deux danseuses et accessoirement chanteuses et deux musiciens (batteur et guitariste). Tous sont masqués à l'image de la pochette du disque et des clips. A l'inverse de Pearson, la communication avec le public est minimaliste voire nulle. Si les chansons ont toutes d'évidentes qualités , le fait que la musique soit en grande partie enregistrée à cause du peu de musiciens, laisse un goût d'inachevé, rajoutant à ce sentiment de visionner un clip grandeur nature. Cette musique n'est sans doute pas faite pour les festivals, d'autant qu'à côté de nous, des gens en profitent pour se taper la discute. >br/> C'est au tour de la tête d'affiche de la soirée de faire son apparition. L'entrée en matière est bizarrement un peu timide. Le son pas assez fort. Quand on entend aussi bien ses voisins, c'est qu'il y a un problème, non ? La voix de la chanteuse parait comme étouffée. De plus, elle avoue elle même ne pas chanter dans la bonne tonalité sur "Dancing Barefoot". Mais rapidement, tout va rentrer dans l'ordre et au contraire, la voix de Smith gagner en puissance. Bien sûr, il sera question de politique : l'écologie pour une belle reprise du "Beds are Burning" de Midnight Oil, l'hommage à l'ancien secrétaire général de l'ONU et prix Nobel de la Paix récemment décédé (en même temps que celui pour Aretha Franklin), Kofi Annan pour une nouvelle très émouvante reprise de "I can't help falling in love", les migrants et la vie en général pour le final "People have the power". Entre temps, il y aura les inusables "Because the night" pour son ex-mari, Fred "Sonic" Smith, disparu depuis bientôt 25 ans et père de son fils Jackson présent à la guitare et "Gloria" et ses célèbres paroles rajoutées par rapport à l'originale "Jesus died for somebody's sons but mine", histoire de déminer toute accointance religieuse. Une affaire de famille libre et unie, rondement menée donc.
Après ça, on ne peut que remercier la Route du Rock de proposer quelque chose de complètement différent, pour la cinquième fois de la soirée : Ariel Pink. Tout simplement, l'un des meilleurs songwriters de sa génération. C'est la troisième fois que nous le voyons en concert, à chaque fois en festival. C'est toujours la même légère déception, celle de ne pas retrouver la joyeuse folie de ses disques mais plutôt un clown triste, un peu punk, semblant saccagé volontairement ses morceaux. Ariel Pink n'est sûrement pas un homme de scène, encore moins de festival. Au passage après l'abominable coupe de Pearson, il semble y avoir pénurie de coiffeurs décents en Amérique, car celle Pink, court d'un côté, long de l'autre, est à peine plus réussie. Il n'empêche que ses chansons, même malmenées, nous touchent. "White Freckles" est à ce titre toujours aussi jouissive, peu importe le contexte ou la forme.
On attend ensuite le début du concert de Nils Frahm, histoire de se persuader que cette musique-la n'est pas propice à être écoutée en masse dehors. On rejoint alors tranquillement nos pénates, contents d'avoir entendu cinq concerts plutôt réussis dans l'ensemble, même s'il n'y a pas eu de "claques", de prestations supérieures (The Flaming Lips, Nick Cave ou Portishead) comme certaines années. Un bon millésime, évidemment apte à nous faire revenir dès l'an prochain.