Pas de temps d'attente

Ce qu’il y a, c’est qu’on rentre dans une salle d’attente, on arrive à un arrêt de bus, on se met en bout de file devant un comptoir, bref on pénètre dans un espace-temps dévoué à l’attente, et que d’emblée on se prive du droit à l’oisiveté, on plonge direct dans les tréfonds électroniques d’un écran pâle comme la mort.

Il y aurait pourrant tant à observer, autour de nous, un environnement à explorer, un aménagement, des éléments choisis par un concepteur ou un urbaniste, la couleur du ciel, le grelottement des feuilles dans les arbres, d’autres visages ou corps, des façons de s’asseoir ou de se tenir debout, des expressions et des tonalités de voix, des façons de s’habiller, des vies à deviner à travers la porte entrebâillée, des histoires dont on tisse les premiers fils, des regards à échanger, lourds de sens et de curiosité, des jeunesses ardentes ou des âges mûrs, des beautés fatales ou des souffrances à peine voilées...
Il y aurait aussi, outre ce cadre physique qui nous englobe, tout un monde intérieur à notre portée, un magma infini de sensations, dans lequel s’enchevêtrent souvenirs du passé, extraits de livres lus ou de films vus, attentes et espoirs pour le futur ou récits imaginaires. Il suffit de quelques minutes parfois pour s’évader, accéder à des territoires amples et baignés de lumière, retrouver une phrase qu’on a dite ou entendue, s’émerveiller ou s’interroger devant la magnificence de certains paysages, ou simplement boire à gorge déployée l’eau d’une source au coeur de la montagne.
Mais la dictature du téléphone, la fascination de la connexion, la peur de l’ennui, nous placent dans la main de l’ogre. Nous consentons à nous mettte sous le joug de forces avilissantes, manipulatrices et abrutissantes. Tous égaux face à la massue des temps modernes.