C’est le dernier jour de la foire. Déjà j’ai le regret du bruit, des couleurs et des odeurs.
Adieu l’effervescence, adieu la fureur, adieu la foule. Adieu les amis.Déjà j’ai le regret de la vie croquée à pleine dents, de la mort chassée comme une malpropre, de l’été flamboyant qui n'en finit pas de se rallumer.Déjà je pense que les heures sont cruelles, que les pas sont menus, que les récits sont inachevés.Déjà j'envisage de nouveaux départs, de nouveaux rivages, de nouveaux ombrages.Mais en attendant, je voudrais vous dire mon songe futile d'une journée déclinante. Il y avait une fille aux cheveux bleus (ou verts), irréelle et spectrale, traversant la kermesse, observant placidement les gens et les réjouissances. Elle sortait je ne sais d’où, je ne savais pas son nom, ses raisons, son parcours. Je ne savais rien d'elle.Je la suivais, fasciné. Elle errait à travers le dédale enchanté, le bûcher des vanités, les jeux et les manèges.Radieuse, éclatante, puis l’instant d’après, la voilà qui devenait sombre comme la nuit, opaque. Elle portait une sorte de masque polymorphe qui changeait au gré des lumières et des regards qu’on posait sur elle.Elle était l’image, le conte, la phrase que j’écrivais sur la feuille de cahier. Séductrice et gracieuse, inexplicable, elle jouait à faire semblant, à me fuir, à me narguer, la belle dame sans merci, érigée sur un piédestal, l’incarnation de la beauté. « Her hair was long, her foot was light, and her eyes were wild ».Un peu plus loin dans mon rêve, elle n'était plus là. J'étais seul au milieu de la ville, au croisement de l'univers au teint pâle.Et je ne pensais plus à l'imparfait. J'étais transposé à l'indicatif présent.Je suis.Les voitures qui passent sans sourciller, le ciel bleu tacheté de blanc doux comme la ouate, l’asphalte gris de la route, dur comme le rock, les passages cloutés qui broutent paisiblement au soleil, quelques arbres qui jaunissent sans faire d’esclandre.C’est bientôt l’automne.Je regarde le soleil droit dans les yeux. Un ami de longue date. Mais un ami dont j’ai appris à me méfier. Les images fourmillent dans ma tête. Oui les images, toujours les images, mais aujourd’hui j’ai mal à mon nerf optique. Le tonnerre gronde en sourdine, en arrière-plan. Un clash d’idées et de certitudes met à mal ma consistance. Rien n’est solide, rien n’est assuré, je suis dans le brouillard le plus épais. Je veux dire dans ma boîte crânienne. Parce qu’aujourd’hui il fait beau. La météo a choisi d’être clémente. Ce n’est pas le cas de la société qui elle a choisi d’être méchante, impitoyable. J’ai beau m’écorcher les neurones, je ne vois pas de rayon vert. Je ne vois pas d’issue, de fenêtre ouverte. Même le langage ne m’est plus d’aucun secours.
Je voudrais voyager dans le temps, Effacer tous les visages qui se présentent à moi, m’enfermer dans une bulle, m'encapsuler, cloisonner mon domaine, ne plus me poser de questions, comment retrouver le souffle, l’inspiration, la joie de vivre, comment retrouver le goût des histoires que je me raconte à moi-même.Point d'interrogation.
Who's that girl
Elle portait une sorte de masque polymorphe qui changeait au gré des lumières et des regards qu’on portait sur elle.
La pose. Être conscient de l’image qu’on projette. Se demander quoi faire de ses mains, quoi faire de son corps, comment placer ses pieds. Trop de conscience de soi tue la conscience.C’est en enlevant certains éléments qui sont coutumiers à certains endroits qu’on remarque subitement leur pertinence. Les choses sont ce qu’elles sont. Puis un jour plus tard, elles ne sont plus là. Ainsi, je me rends compte une nouvelle fois de mon impuissance absolue. Je regarde les passants que je croise et qui viennent de tous les horizons possibles. Il me vient une tristesse intense, car je ne peux rien pour eux. Je m’oblige à penser à moi, à moi tout seul et à ma présence physique là, tout de suite, oà l’endroit ù je me trouve, en tenant compte de tout ce que je vois et entends. Dommage qu’on ne puisse pas enregistrer les senteurs, les odeurs, c’est quelque chose de tellement particulier, qu’aucun appareil photo au monde ne pourra jamais fixer.C’est le dernier jour de la foire. Déjà j’ai le regret du bruit, des couleurs et des odeurs. Adieu l’effervescence, adieu la fureur, adieu la foule.Déjà j’ai le regret de la vie croquée à pleine dents, de la mort chassée comme une malpropre, de l’été flamboyant.
Elle portait une sorte de masque polymorphe qui changeait au gré des lumières et des regards qu’on portait sur elle.
Déjà j’ai le regret de la vie croquée à pleine dents, de la mort chassée comme une malpropre, de l’été flamboyant qui n'en finit pas de se rallumer.
« Her hair was long, her foot was light, and her eyes were wild ».
Elle jouait à faire semblant, à me fuir, à me narguer (à me larguer). Sans rire.
Un peu plus loin dans mon rêve, elle n'était plus là. J'étais seul au milieu de la ville... Face au miroir brisé.
Elle sortait je ne sais d’où, je ne savais pas son nom, ses raisons, son parcours. Je ne savais rien d'elle.
Elle était l’image, le conte, la phrase que j’écrivais sur la feuille de cahier.
Irréelle et spectrale, elle traversait la kermesse, observant placidement les gens et les réjouissances. Une histoire vraie.Modèle : Ana Carina Marinheiro Neto