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Marco Magini : Comme si jÂ'étais seul

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

Comme si j’étais seul de Marco Magini   4/5 (26-08-2018)

Comme si j’étais seul (192 pages) est sorti le 25 août 2016 aux Editions HC (traduction : Chantal Moiroud) et est disponible depuis le 13 Septembre 2018 au format poche chez Folio (261 pages). 

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L'histoire (éditeur) :

1995. Le conflit en Yougoslavie s’intensifie. À tout juste vingt ans, Dražen Erdemovi? s’engage dans l’armée serbe dans l’espoir d’offrir un avenir à sa femme et sa fille qui vient de naître. Né en Bosnie-Herzégovine, de parents croates, Dražen est le symbole même du multiculturalisme yougoslave. L’uniforme serbe est le troisième qu’il endosse, mais rien ne lui importe plus que de voir son pays à nouveau en paix. Il va découvrir l’horreur de la guerre, l’impuissance d’un homme seul face à un groupe de soldats incontrôlés, l’anéantissement des consciences. La force de ce roman tient dans le choix narratif de l’auteur : trois voix alternent ainsi dans une partition bien rythmée. Celle de Dirk, soldat néerlandais qui assiste à l’impuissance des casques bleus de l’ONU. Celle de Romeo González, juge au Tribunal pénal international de La Haye, qui s’apprête à rendre son verdict un an plus tard. Et celle Dražen, qui devient l’un des acteurs du pire massacre commis en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Mon avis :

Comme si j’étais seul, c’est l’histoire de trois hommes et surtout celle d’un génocide.

Il y a  Dirk, casque bleu néerlandais envoyé à Potocari (village de Bosnie-Herzégovine, situé à Srebrenica) après le retrait des canadiens. Bloqué depuis des mois il ne supporte plus l’attente est comme beaucoup est frustré de ne servir à rien. Il sera l’un des témoins impuissants du drame.

« Porter tout l’équipement avec cette chaleur humide est un supplice : le gilet pare-balles et le casque nous noient dans la sueur et sont inutiles puisque le seul danger véritable est un obus tiré d’une des collines environnantes. Uns des multiples idioties de notre situation. Nous ne nous posons plus de questions et continuons à exécuter les ordres en défilant pour ce carnaval en combinaison bleue. » Page 47 de la version poche Folio

Il y a Roméo Gonzales, magistrat espagnol venu s’installer en Hollande à la suite de sa nomination en tant que juge à la Cour Pénale Internationale où, assisté de 4 autres juges étrangers, il doit rendre son verdict concernant la culpabilité d’un homme pour le meurtre de 70 personnes.

« La jurisprudence n’était pas en mesure d’évaluer un fait de cette ampleur. Tout était trop monstrueux, tout était trop horrible et trop compliqué. » Page 23

Il y a Drazen Erdemovic, né de parents croates dans la partie à majorité serbe de la Bosnie Herzégovine, marié et père de famille (en attente de son second enfants), contraint de trouver un peu de revenus en s’engageant dans le conflit serbo-croate.

 « Ma génération, qui avait grandi après la mort de Tito, se souciait plus de l’éclatement du groupe Police que de celui de la République yougoslave. Fédération, confédération, tous ces mots étaient bien éloignés de nos pensées. » Page 65

 « Je ne suis pas serbe, mais je ne suis pas musulman non plus, je porte le troisième uniforme de ma vie sans jamais n’être senti soldat. » page 151

C’est en alternance avec ces trois voix que l’on prend, à notre tour, part au conflit, spectateur d’un drame, contraint d’assembler les différents éléments du puzzle (témoignages volontairement désorganisés) pour qu’au final en réussisse en prendre conscience de toute la mesure de la réalité. 

Drazen, qui a choisi de se rendre, d’avouer, est jugé pour le meurtre de plus de soixante-dix civils. Mais qu’elle est, au final, sa part de responsabilité ?

« Ma petite Sanja : je dois avoir l’air d’un monstre. Parfois je me demande si elle n’a pas tout compris. La voilà, elle vient vers moi. Ma poupée de porcelaine, à petits pas pour éviter les flaques d’eau dans l’herbe. Un. Deux. Trois. Un saut à droite. Quatre. Cinq. Six. Elle s’arrête, me regarde et à ce moment je comprends.

Ce sont les yeux de ma fille qui me rendent fou. Le moment est venu de la faire, de le faire pour Sanja. » Page 26  

« Le 14 juillet 1995, près de la ferme de Branjevo ; Drazen Erdemovic avait pris part à l’une des actions qui avaient contribué au génocide de Srebrenica. La seule preuve à charge de l’accusé était son propre témoignage, d’abord d’une une interview aux micros d’ABC, puis dans la confession qu’il avait faite devant le tribunal pénal international. L’accusé avait jusque-là été le seul à se déclarer coupable, le seul membre de son détachement à être arrêté. » Page 144

Par les différents acteurs/personnages de cette affaire, Marco Magini donne l’occasion de beaucoup réfléchir sur les circonstances (atténuantes, la part de contrainte) ; le contexte des faits et surtout la part de responsabilité de chacun, de tous. Bien qu’assez court et de structure « désorganisé » au premier abord, j’ai trouvé ce roman finalement finement construit.

« Aurions-nous pu trouver meilleur accusé qu’un simple soldat, croate, combattant en Bosnie pour les armées serbes ? » page 218

Comme si j’étais seul est intéressant par le sujet qu’il évoque (le massacre de Srebrenica est relativement peu évoqué en littérature) mais surtout par la manière dont l’auteur a choisi de le traiter. Ce n’est au final pas tant l’Histoire qu’il veut mettre en avant, mais la responsabilité de ceux qui sont impliqués dans un génocide (ici soldat, juge ou personnel de l’ONU). Il offre une large perspective de l’affaire sans omettre une certaine sensibilité (mais sans aucune sensiblerie) qui rend l’ensemble particulièrement captivant et éprouvant.

« Plus de soixante-dix meurtres : toute la journée passée à tuer des hommes, des vieillards et des enfants désarmés, dans la pleine conscience de ce qu’il était en train de faire. Coupable deux dois : coupable d’avoir participé au pire crime survenu en Europe depuis la fin des camps d’extermination nazis, mais surtout coupable de ne pas avoir continué à vivre comme si tout cela n’était jamais arrivé. » Page 219

Culpabilité (aux yeux de soi, de la loi, des autres), héroïsme, absurdité, lâcheté se télescopent subtilement.

Sans aucune exagération, Comme si j’étais seul  est un livre qui prends aux tripes et qui vous laisse, la dernière page tournée, tout retourné. Même si les trois voix sont marquées par leurs différences (ton, point de vue, temps, rythme, celui de Roméo par exemple plus lent parce qu’essentiellement sur la réflexion), l’ensemble ne manque absolument pas de cohésion et d’harmonie. Bien au contraire.  Ces différentes subjectivités permettent au final au lecteur de se faire sa propre opinion avec plus d’objectivité, conscient d’avoir (presque) toutes les clés en mains.

« A Srebrenica, la seule façon de rester innocent était de mourir. » page 227


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