Magazine

Dans flamenco, il y a le mot flamme

Publié le 23 septembre 2018 par Paulo Lobo
Phrases éparses, relâchées et inspirées d'un shooting avec Sonja W., danseuse de flamenco
Dans flamenco, il y a le mot flamme

Dans flamenco, il y a le mot flamme. Puis-je en déduire que le rouge incandescent est au cœur de la culture flamenca ?

Certes, dans ce chant dansé, dans cette danse chantée, dans cette guitare lâchée à brūle-pourpoint, il y a du rouge qui saute aux yeux, un rouge couleur de sang et de passion, un rouge qu’aucune teinte ne peut ternir, un rouge enragé et brut.
Mais j’y vois aussi du noir, ce noir du gouffre qu’on contemple alors qu’on n’a plus qu’un pas à faire pour plonger dans le vide.
Dans flamenco, il y a le mot flamme
Dans flamenco, il y a le mot flamme
J’y vois aussi du jaune, ce jaune d'une terre écrasée par un soleil implacable, la croûte endurcie, ce jaune fiévreux du sol brûlé, carbonisé, hébété.
Sentir son cœur perdre pied.
Sonja sur les photos traque le geste et la position; le mouvement qui s'esquisse puis se fixe; l'expression qui hésite, s'interroge, puis se libère. Par petites touches précises et subtiles, elle convoque un univers plus ample que ce que peuvent capter mes yeux physiques.
Dans flamenco, il y a le mot flamme
Les lieux m’étaient étrangers, situés pourtant à deux pas de chez moi, il suffisait d’un modeste saut de frontière, un menu trajet en automobile, et nous voilà  parvenus loin, très loin, évadés dans des atmosphères baignées de lumière, entre nature et patrimoine, un songe éveillé au coeur d’un mois d’été plein d’ardeur.
Au fur et à mesure que nous élaborons les prises de vues, nous y voyons de moins en moins clair, l’incertitude est de mise, nous hésitons, doutons, expérimentons, jouons le jeu.
Dans flamenco, il y a le mot flamme
Entend-on la musique, les palmas et la guitare ? Retient-on son souffle quand jaillit soudain le long cri silencieux ?
Dans flamenco, il y a le mot flammeOù est le cadre, où est la scène, où est le projecteur ?
Il n’y a plus de modèle ni de photographe, il y a juste l’exploration d’un mystère opaque, indicible, partagé.
Car photographier, voyez-vous, c’est aussi fermer les yeux, fermer les yeux très fort, pour écouter ce qu’il y a en nous, donner champ libre aux émanations de notre esprit, leur permettre de se mélanger avec les éléments extérieurs et immédiats ;
de cette rencontre (renouvelée à chaque instant) naît la réflexion dans le miroir, l’image inversée, l’être infléchi, la surface redessinée.
La netteté n’est pas le but, ce qu’on veut c’est le tâtonnement, le clair-obscur, le flou, l’imprécision.
 Il ne faut jamais dire les choses clairement, il faut toujours chercher l’étrangeté, la dissonance, la digression.
En tout cas, c’est ce qui me plaît.
En faisant l’editing des photos, j’ai pensé que c’était une bonne idée de réécouter le disque de Rocío Márquez « Firmamento », à la recherche de je ne sais quelle coïncidence, de je ne sais quel éclat soufflant. Chant magnifique, chant sublime, pur comme le cristal.
Dans flamenco, il y a le mot flammeEnsuite j'assemble des mots et j’en fais des phrases destinées à envelopper les clichés. Je cherche le sens caché derrière la façade, mais il se peut, il est même probable, qu'il n’y en ait aucun.
Alors il me faut le créer, l’imaginer de toutes pièces pour qu’il devienne vrai. Je délivre un flux de paroles que je superpose aux images tel un nouveau calque.
Je me concentre, j'oublie l’absurdité de toute chose.
Je force mon esprit à se poser un instant, à se reposer un instant à cet endroit à ce moment.
Le flamenco en couleurs. Parfois le flamenco en noir et blanc, tout en contraste et graphisme. Le flamenco en lumière, glorieux et éclatant.
L’atmosphère était limpide et chaude. On se serait cru au bord de la Méditerranée. Mais il y avait toute cette végétation, tout ce vert luxuriant - pas très Méditerranée, ce déluge de vert. Mais l’éclairage tombant de biais sur les murs en pierre donnait lieu à un sensation âpre et aride, comme une inspiration latine, comme un souffle andalou.
Après, ce qui compte c’est l’histoire qu’on se raconte.
Dans flamenco, il y a le mot flamme
Les images, fugaces, surgissent comme la proposition d’un dialogue. Des humains vivants, leur imaginaire, des constructions en pierre charriant dans leur lit des fragrances séculaires, des espaces luxuriants, pleins de sève et de vie.
Ce ne sont pas pour autant des cartes postales. Elles n’ont pas vocation à être vendues. Elles doivent juste célébrer la vie et l'interrogation de la beauté.
Car je ne sais toujours pas ce qu’est une image. Je ne sais pas ce qu’elle raconte ou ce qu’elle ne raconte pas. Est-elle mensonge ou vérité; parle-t-elle pour ne rien dire; que veut-elle me faire comprendre…
Dans flamenco, il y a le mot flamme
Les yeux restent sans voix devant la vaste immensité infinie et douce. Ils scrutent la vision qui s’offre à eux, les lignes, les contours, les textures, ils scrutent tout ce qu’ils savent et ignorent, ils scrutent l’image digitale, l'idée transformée en codes binaires.
Les yeux aimeraient se contenter de voir et de rester sans voix. Devant la perfection cristalline de la perception sensorielle.
Mais la vie gronde, effervescente et troublante, jamais là où on l’attend.
Les yeux assistent en première loge à ce déferlement de sensations, regardant dans les deux sens, l’image au dehors et le remue-méninge au dedans.
Dans flamenco, il y a le mot flamme
Au fur et à mesure que les années passent, je vois les rivages de l'enfance et de la jeunesse qui s'éloignent. Mon navire prend le large.
Ou est-ce l'inverse qui arrive ? Ai-je été le capitaine d'un navire, ai-je traversé les océans de la bravoure, découvert les continents de l'aventure, choyé les îles du paradis ? Pour, un jour, quitter le navire, quitter la mer, m’expatrier sur terre, ne plus jamais lever l'ancre, ne plus jamais désirer l'horizon?
Je suis à terre, et le navire que j'aimais est parti pour toujours.
Mes espoirs ont pris les couleurs d'automne.
Pourtant, je ne suis pas amer, je ne suis plus sur la mer, mais j'aime toujours l'amour que je retrouve dans les images. J'aime un sentiment diffus qui parfois ressemble à la beauté d'un geste, parfois à celle d'un regard, parfois à celle d'une ligne d'un corps.
Que vaut un coeur anxieux face à la détresse abyssale du monde ?
Tristesse est un mot qui commence par un T. Si je devais lui associer une couleur, ce serait le gris macadam. Mais un rouge sang arrive à point nommé pour bien la châtier.
Dans flamenco, il y a le mot flamme

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Paulo Lobo 1390 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte