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(Anthologie permanente) Flora Bonfanti, Lieux exemplaires

Par Florence Trocmé

Le fenouil et le feu

  

Flora Bonfanti  Lieux exemplaires
Un vol inaugure notre espèce : le vol du feu. Pour son transport, une tige de fenouil. Une semence de feu cachée au creux d'un fenouil.
   Le feu se sépare du Feu, et devient torche.
   L'esprit se sépare de l'Esprit, et devient lettre, véhicule d'esprit.
   Tout vol requiert véhicule — qui vole transporte.
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   Le feu, lui, n'est pas torche, mais il est descendu en torches. Qui sait du feu sait grâce aux torches — nous sommes soumis aux torches.
   L'homme cherche le Feu, et s'encombre de torches.
   Le feu, lui, n'est pas torche, mais il est descendu en torches ; et a exigé de l'homme grande attention, car
les torches confondent l'homme.
   L'homme a reçu la lumière, et avec elle l'écorce brute de la torche, les deux ne faisant qu'un.
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   Choses immatérielles, choses matérielles. — Il est des torches qui, transmises, se dédoublent ; de sorte que plus elles sont transmises, plus la terre des hommes s'illumine.
   Il est des torches qui, transmises, ne se dédoublent pas ; de sorte qu'on ne peut les transmettre sans s'en priver. Pas de transmission sans privation. Pas de privation sans guerre. Ce sont les torches éteintes. Leur lumière ne résiste pas au premier vol.
   Les torches éteintes occupent les mains de l'homme, mais n'éclairent pas son visage.
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  Il était entré dans le feu de la nuit. Avec lui, tout le siècle
  Il avait oublié que le feu montre aux yeux les choses

/
   Une semence de feu cachée au creux d'un fenouil.
   La torche. — Les yeux la voient, les mains la touchent, l'esprit la perce. Seul l'esprit sonde l'écorce. Seul l'esprit y voit le feu.
   Les signes d'une langue étrangère sont des torches que l'esprit ne perce pas. Les yeux les voient, les mains les touchent, l'esprit n'y voit pas le feu.
   Certains mots sont des fenouils géants : ils peuvent abriter toute sortes de feux. Les feux qu'on y enfouit se trouvent tout perdus, tout petits dans le creux géant. L'esprit a toute liberté d'y voir le feu qui lui plaît.
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   Les anciens conservaient le feu sous la cendre. Si le feu s'éteignait, ils cherchaient un dernier germe sous la cendre.
   Le fenouil servait à transporter le feu, mais aussi à conserver les remèdes, les principes actifs.
   Narthex, le mot grec pour férule, fenouil géant, donne origine à narthecium : boîte à médicaments.
   L'écorce, sèche, évite à la sève de se dessécher. La lettre, sèche, évite au sens de se dessécher. La lettre transporte et protège.
  C’était à moi de le garder, ils m’avaient appelée gardienne du feu, et je le gardais bien ! Puis, il y eut la nuit, la pluie méchante et la grêle, et mon feu est parti. Vous l’avez vu ? Sans lui, je ne peux pas rentrer !
Flora Bonfanti, Lieux exemplaires, Précis du silence et du bruit suivi de Les véhicules d’esprit, éd. Unes, 2018, 80 p., 16€, pp.49/55
Sur ce livre, lire la note de lecture d’Isabelle Baladine Howald.
Flora Bonfanti est née en 1987 à Rio de Janeiro (Brésil). Après des études de lettres, d'art et de philosophie au Brésil et poursuivies à Paris, elle se forme au théâtre à Tel Aviv. Installée en France depuis 2014, elle développe un projet littéraire à la croisée des mondes entre poésie et pensée, pulsion imaginaire et rigueur rhétorique. Elle exerce également le métier de comédienne, au cinéma et à la télévision. Lieux exemplaires est son premier livre. (biographie proposée par l’éditeur)


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