La sélection naturelle est un modèle explicatif aussi simple que puissant. Élégant. N'en déplaise aux préjugés.Petit rappel avec cette remarquable vidéo :Est-il possible de concilier ce modèle avec celui d'une conscience universelle souveraine qui crée tout selon son libre désir ?Peut-être. Selon la Reconnaissance, école philosophique inspirée du tantrisme et née au Cachemire vers 950, tout a une source unique : la conscience. Cette conscience est à la fois une Lumière permanente, toile de fond en laquelle tout se révèle ; et un pouvoir de "se prendre pour" ceci ou pour cela. Ainsi, l'être-conscience peut se manifester en prenant cette manifestation pour un autre ; ou pour le néant ; ou pour une réalité étrangère qui impose ses lois.
Le dynamisme créateur propre à l'être-conscience est comparable à une sève qui se cristallise peu à peu. L'extase jaillissante prend forme, et les formes forment des habitudes, qui se durcissent en lois. La Lumière elle-même se solidifie, s'opacifie. Le Mystère se réalise comme matière. Le mouvement infini ralentit jusqu'aux rythmes des molécules, qui elles-mêmes tendent, peu à peu, à l'immobilité. De même, sur le versant subjectif, le libre pouvoir de se réaliser sous des myriades de formes devient un individu, délimité, définit, doté d'une nature, disons d'un tempérament.Pour la Reconnaissance, la personne est engendrée par l'union de la Lumière et de la conscience, cette dernière étant comprise comme ce libre pouvoir de "se prendre pour" - liberté d'être libre, jusqu'à l'ivresse du jeu de la servitude. Or, le hasard et la nécessité pourraient bien être deux visages de cette liberté.La sélection naturelle est le jeu du hasard et de la nécessité. Par "hasard", il ne faut pas comprendre "absence de cause", mais plutôt, "cause aveugle", non issue d'une décision, d'une délibération. L'Inde n'a guère pensé le concept de hasard, sauf dans le Yoga selon Vasishtha, oeuvre non-dualiste sans équivalent, composée au Cachemire, vers 950, à l'époque donc de la Reconnaissance. On nous y propose l'image d'un corbeau qui atterri sous un cocotier. A cet instant, une noix se décroche, tombe sur le corbeau et le tue. Image de la pure coïncidence. Le cocotier n'a pas "voulu" tuer le corbeau. Le hasard est ainsi la rencontre fortuite de séries causales qui ne participent pas d'une même pensée, d'un même vouloir.Cependant, selon la Reconnaissance, la multiplicité des séries causales, aussi indépendantes qu'elles paraissent, est impossible sans une conscience qui les relie. Pas de hasard sans relation. Or, "relation" est synonyme, purement et simplement, de "conscience". Tout est donc grâce à la conscience. Pas de multiple sans l'Un. Dès lors, on pourrait envisager le hasard comme un autre nom de la libre créativité de la conscience. Son pouvoir de se réaliser de façon imprévisible, même à elle-même. Un pouvoir créateur de nouveauté. Cela colle avec la sélection naturelle, car le hasard des mutations génétiques, notamment, y est le facteur de nouveauté. Evidemment, cela suppose d'accepter une conscience libre, mais pas à la manière d'un Grand Architecte. Plutôt à la façon d'un musicien qui improvise. Le jeu du hasard et de la nécessité, le vertige tourbillonnant de cette lutte perpétuelle entre les Anciens et les Modernes, entre créativité et inertie, entre passé et avenir.Mais pour improviser, il faut des lois. Ces lois, c'est la "nécessite". La Reconnaissance connait bien cette notion, nommée nitayi en sanskrit. La nécessité est le visage que prend la liberté absolue de la conscience quand elle se cristallise en habitudes. Le cosmos serait donc le jeu du hasard er de la nécessité, c'est-à-dire de la partie de la conscience qui reste libre, face à la partie qui se fige en habitudes. Bien sûr, cette distinction est loin d'être toujours nette. On crée grâce à la nécessité autant que grâce au hasard. L'improvisation, en danse, en musique ou en écriture, en sont de parfaits exemples. La complicité entre hasard et nécessité est inextricable, ce qui marque le génie. La maîtrise technique donne aux notes l'apparence de jaillir de nulle part. Les fausses notes sont intégrées, l'obstacle devient le moyen, dans une danse ou les déséquilibres sont repris, in extremis, dans un nouveau geste d’équilibre, plus profond et plus vaste. L'enjeu étant l’émerveillement, la surprise, le vertige de la perte et du retour. Illustration à la viole :Autre forme d'improvisation :