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Les Démons d’Edward Limonov

Publié le 30 septembre 2018 par Savatier

Les Démons d’Edward LimonovLes livres d’Edward Limonov ne laissent jamais indifférent ; son dernier ouvrage, Et ses démons (Bartillat, 236 pages, 20 €), encore moins que les autres. Le lecteur qui s’arrête un instant sur la couverture pourrait d’ailleurs inclure le nom de l’auteur dans le titre lui-même, car ce roman autobiographique, autrement plus intense que les pâles autofictions qui, chaque année, encombrent les rayons des librairies, ne parle finalement que de Limonov et de ses démons. Quels sont-ils ? Ceux qu’il nous présente sont extérieurs ; des spécialistes d’une clinique devenue sous sa plume « camp nazi de médecins européenne » aux statues africaines dont on lui avait fait cadeau, ces démons l’entourent et, pense-t-il, œuvrent à sa perte ; mais on devine qu’il ne s’agit ici que de la partie visible de l’iceberg. Les autres, même s’ils ne les évoque guère, se glissent entre chaque ligne ; ce sont des démons intérieurs, qui l’habitent depuis le début de sa vie aventureuse, pavée d’utopies, de causes perdues, d’engagements ontologiquement minoritaires. Ne porterait-il pas sa barbiche, Limonov ne parviendrait pas à dissimuler le Don Quichotte qui ne sommeille en lui que d’un œil distrait au cœur d’un paysage hérissé de moulins.

Que le roman soit écrit à la troisième personne – « le Président » – fournit un argument à ceux qu’il agace et qui l’accuseront de mégalomanie. Pourtant, ce choix délibéré ménage une mise en abîme qui n’est pas sans rappeler un autre « livre d’urgence », le Pseudo que publia Romain Gary sous le masque d’Emile Ajar. On y retrouve une identique introspection non dénuée de critique sur ses échecs à répétition, un humour grinçant qui ressemble diablement – l’expression, pour une fois, se révèle juste – à la politesse du désespoir, une hantise de la mort, ici venue avec l’âge et la maladie soudaine chez un homme qui fut pourtant habitué à la côtoyer et qu’illustre, notamment, ses inattendues recherches généalogiques. Avec pour point de départ l’opération du cerveau qu’il dut subir en 2016, par épisodes, comme les touches disparates d’un portrait expressionniste, l’auteur de 76 ans revient sur différents moments de sa vie, tour à tour quotidienne, amoureuse, littéraire ou politique.

Sans doute, sur ce dernier aspect, les lecteurs français, souvent peu familiers de la géopolitique de la Russie et des anciens satellites soviétiques, se sentiront un peu perdus – où localiser le Dombass, cette région située à la frontière Est de l’Ukraine, entre le Don et la mer d’Azov, ainsi que Donetsk et Lougansk ? Mais cela a-t-il vraiment tant d’importance ? En lisant Limonov, on laisse facilement de côté ses engagements complexes et déconcertants, son cynisme, son égocentrisme, pour mieux s’immerger dans sa littérature, celle d’un virtuose de l’écriture, exigeant envers lui-même, tout aussi exigeant envers celles et ceux qui le lisent, mais qui l’a depuis longtemps propulsé dans le cercle très fermé des grands écrivains.


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