Partager la publication "[Critique] AUCUN HOMME NI DIEU"
Titre original : Hold The Dark
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Jeremy Saulnier
Distribution : Jeffrey Wright, Riley Keough, Alexander Skarsgård, James Badge Dale, Jonathan Whitesell, Macon Blair, Eric Keenleyside…
Genre : Thriller/Drame/Adaptation
Date de sortie : 28 septembre 2018 (Netflix)
Le Pitch :
Un spécialiste des loups à la retraite est appelé par une jeune femme dont l’enfant a été enlevé. Perdu au beau milieu de l’Alaska, le village dans le lequel il se retrouve et l’attitude pour le moins étrange de la mère de famille qui a demandé son aide lui indiquent d’emblée que sa mission ne sera pas des plus simples…
La Critique d’Aucun Homme ni Dieu :
C’est avec Blue Ruin, son second long-métrage, que Jeremy Saulnier s’est fait remarquer. Un film impitoyable bien qu’un peu lénifiant, dont le succès d’estime lui permit d’enchaîner 2 ans plus tard avec le furieux et punk Green Room. L’occasion pour le cinéaste de prouver qu’il pouvait aussi se montrer beaucoup plus direct, en adoptant une posture pour le moins frontale et ainsi proposer un cinéma non seulement brutal mais aussi soutenu et parfois carrément frénétique dans son approche de son sujet. Avec Aucun Homme ni Dieu, qu’il a réalisé pour Netflix, Saulnier mixe un peu les saveurs et propose un film qui prend souvent son temps, comme Blue Ruin, mais qui sait aussi monter dans les tours, à l’instar de Green Room donc. Le tout dans un cadre lui offrant de multiples opportunités de brouiller les pistes afin d’illustrer au mieux le propos du livre signé William Giraldi qu’il a choisi d’adapter…
Into the (very) wild
Le postulat d’Aucun Homme ni Dieu rappelle un peu celui du formidable Wind River, de Taylor Sheridan. Un homme est appelé pour résoudre un mystère et se retrouve au beau milieu d’une communauté semble-t-il régie par ses propos codes. Le tout dans un environnement glacial, perturbant et donc d’autant plus dangereux. Néanmoins, la comparaison s’arrête là. Car Aucun Homme ni Dieu annonce d’emblée la couleur. Un enfant a été dévoré par des loups. La mère veut se venger et se tourne vers un spécialiste de ces animaux pour qu’il parte en chasse. Le spécialiste en question débarque mais se rend vite compte qu’il y a un truc qui cloche quand la femme se pointe dans sa chambre en pleine nuit, totalement nue et affublée d’un masque un peu flippant… Rapidement, Aucun Homme ni Dieu brouille les pistes et joue avec des codes empruntés ici ou là. Film d’horreur ? Thriller ? Drame ? C’est un peu tout ça à la fois mais en même temps pas vraiment non plus. Surtout quand un troisième personnage, le père de l’enfant disparu, fait son entrée… Dès lors, Jeremy Saulnier se lâche. Son film dévoile peu à peu son vrai visage et la violence explose. On retiendra notamment cette hallucinante fusillade, aussi bien filmée que parfaitement impitoyable. Un choc qui intervient alors que le long-métrage n’a pas encore fini de nous balader. Mais nous balader pour aller où ?
Montée en pression
Car le point faible du nouveau film de Saulnier est là : peut-être trop ambitieuse, l’histoire pose plusieurs questions, se montre plus qu’à son tour nébuleuse et ne prend pas vraiment la peine d’apporter des réponses. Le scénario élabore ainsi beaucoup de choses, il s’épaissit, intrigue et fascine mais à la fin… À la fin, c’est immanquablement la frustration. Alors oui, on pourra toujours s’amuser à comprendre, avec le peu d’indices que Saulnier nous a laissés, mais la structure narrative est telle que l’impression qui domine au sujet du film est que ce dernier est probablement beaucoup plus roublard que vraiment malin et que sa propension à se montrer mystérieux, en nous abreuvant de scènes étranges et de symboles, s’apparente plus à un bel écran de fumée qu’à une réelle audace.
On retrouve également cette lenteur déjà dans Blue Ruin et non ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle. Chez Saulnier, la mélancolie à tendance à bouffer tout l’écran. Dans le cas présent, presque tous les personnages semblent tourner sous Lexomil. Si il est excellent de bout en bout, Jeffrey Wright reprend plus ou moins son rôle de Westworld, tandis qu’ Alexander Skarsgård nous livre sa propre version du Terminator, sans que la violence qu’il incarne ne soit d’ailleurs toujours pleinement justifiée. Riley Keough, quant à elle, est excellente mais son rôle manque d’épaisseur. Finalement, seul James Badge Dale ne tourne pas au ralenti… Tout ça pour dire que la torpeur qui habite le film finit parfois par traverser l’écran pour gagner le spectateur. Un spectateur en droit d’être un peu paumé dans cette dynamique certes pleine de qualités mais aussi un peu trop obscure et absconse pour véritablement convaincre.
Le territoire des loups
Le Territoire des Loups justement, parlons-en. Un formidable film dans lequel des types doivent survivre dans le froid, alors qu’une meute de loups lorgne méchamment sur leurs jarrets. Simple, concis, direct. Tout cela pour dire que parfois, la simplicité a du bon. Avec Aucun Homme ni Dieu, Saulnier tourne un peu en rond. Parfaitement en place derrière son objectif, il livre certes une belle proposition de cinéma, formellement réussie, baroque, sombre et sans concession, mais se perd en chemin quand il s’agit de relier les points pour former un tout cohérent. Devant son film, on pense à des œuvres comme The Wicker Man ou encore Le récent (et aussi sur Netflix) Le Rituel. Deux films qui voyaient la normalité partir en lambeaux dans un environnement vicié par un mal insidieux et incompréhensible pour le personnage principal. Comme dans Aucun Homme ni Dieu. Le problème, c’est ce dernier n’a pas la puissance du Rituel et pas la virtuosité narrative et le caractère effrayant de The Wicker Man. Il montre beaucoup pour nous faire oublier qu’il ne raconte finalement pas autant qu’il le prétend.
En Bref…
Le nouveau film de Jeremy Saulnier ne manque pas de qualités. Formellement, il s’agit d’une réussite quasi-totale. Les acteurs aussi sont très bons. Le problème vient davantage du scénario, abstrait et roublard, qui multiplie les fausses pistes mais qui peine à s’y retrouver. Y compris quand il tente de développer une philosophie là encore un peu trop brouillonne pour toucher au vif. Du coup, même si il est parcouru de séquences très fortes, qui restent longtemps en tête après la projection, Aucun Homme ni Dieu déçoit un tout petit peu…
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Netflix