Vous faites probablement partie de toutes celles et ceux qui, comme moi, avait découvert le Français grâce au trio magique qu’il formait au sein du métissé Gotan Project avec ses comparses Eduardo Makaroff et Christoph H. Müller. En trois albums seulement, tous publiés entre 2003 et 2010, le nuevo tango était propulsé sur toutes les scènes du monde.
Pourtant, Philippe Cohen Solal a eu une carrière avant cette reconnaissance aussi fulgurante qu’internationale, carrière prolifique et variée qui remonte au début des années 80. Aussi n’est-il pas étonnant de le retrouver aujourd’hui en solo avec un album irrémédiablement coloré.
Paradis Artificiel(s) est un nouveau projet certes original, mais également osé. En effet, la thématique centrale tourne autour d’un certain Club des Hachichins… resté célèbre grâce à une nouvelle de Théophile Gauthier, lequel fréquenta cette société secrète parisienne entre 1844 et 1849, aux côtés d’autres très grands noms de l’époque, tels Charles Baudelaire, Honoré Daumier, Eugène Delacroix, Gustave Flaubert, Alexandre Dumas, Gérard de Nerval et Honoré de Balzac. Ouf !
On l’aura compris, il s’agissait alors de se retrouver afin de se délecter de ce produit hallucinatoire, tout en profitant également de douces musiques… Les paradis artificiels étaient alors des expériences dont tout ce microcosme ne pouvait plus vraiment se passer.
Pour l’album, Philippe Cohen Solal a – en plus d’avoir créer une bande-son dont on reconnaît immédiatement la personnalité – osé passer derrière le micro sur certaines chansons, laissant des invités de tous horizons apporter leur touche plus personnelle. Les paroles sont ainsi issues de textes de Gauthier et Baudelaire, créant une unité thématique très audacieuse, même en 2018.
À ce titre, le ton est dès le morceau d’ouverture donné sans le moindre compromis. L’ambiance est lourde, mais pesée, et le texte scandé avec une fascination merveilleuse. Un véritable bonheur, qui néanmoins est tout sauf populaire dans son approche.
Alors, on a droit à des pauses bienfaisantes : « Harmonie du soir » puis « Le parfum », et un peu plus loin « Bon voyage » et « À celle qui est trop gaie » (avec Alice Lewis et Edie Blanchard) sont probablement les chansons qui sont les plus accessibles, c’est-à-dire les plus pop ou délicieuses.
Ailleurs, comme annoncé dès « Le club des hachichins », il s’agit de respecter l’ambiance enfumée qu’ont dû connaître un cercle très restreint de Parisiens dans les années 1840.« Perfume exotico » est chanté en portugais par Samito, sur une musique plus enivrée qu’enivrante. La trêve orientale de « Nimantran » ouvre la voix à « L’invitation au voyage », toujours dans une lenteur mi-endormie mi-léthargique.
Le joyau de l’album est sans commune mesure « Shizuka », interprété par le duo féminin formé par Maïa Barouh et Mariam Tamari. Quant au final, il possède quelques éléments remémorant Gotan Project, de la même façon qu’à certains moments (notamment « Bon voyage ») on peut entendre – une fois encore – à quel point le grand Serge n’en a pas fini d’inspirer, aussi bien en France qu’à l’étranger d’ailleurs.
D’un point de vue artistique, Philippe Cohen Solal lâche un album de haute volée, avec des titres qui sont sublimes (je le répète pour « Shizuka », mais aussi pour « Le club des hachichins »), et je dois bien dire que depuis Production on attendait un digne successeur à Mirwais : c’est chose faite.
Chapeau bas !
(in heepro.wordpress.com, le 02/10/2018)
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