Magazine Beaux Arts

Cindy Sherman The Picture Generation

Publié le 06 octobre 2018 par Thierry Grizard @Artefields

Cindy Sherman, masques et portraits de genre

“I’m really just using the mirror to summon something I don’t even know until I see it.” – Cindy Sherman.


Cindy Sherman, art contemporain, photographie, The Picture Generation, genres| Publié par Thierry Grizard le 6 octobre 2018 pour artefields.net

Cindy Sherman et la photographie

Cindy Sherman est de manière convenue présentée comme une photographe conceptuelle traitant des genres et de l’identité dans une perspective féministe et une « facture » post-moderne.

Ce sont évidemment des raccourcis, qui en outre reposent sur des notions proches parfois du postulat, notamment lorsqu’il s’agit de définir ce qu’est le post-moderne.

Mais avant tout, s’agit-il bien de photographie ? C’est la première chose que l’on souhaite clarifier. Cindy Sherman n’a jamais montré, jusqu’à sa démarche sur Instagram, de photographies (instantanées, de rue, ou autre) hors les clichés de ses mises en scène.

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© Cindy Sherman

Théâtre photographique

Pour elle la photographie est en quelque sorte une méthode d’enregistrement dans un processus systématique et sériel. Elle travaille un peu à l’image des artistes conceptuels qui utilisaient la photographie de manière neutre, comme fixation d’une démarche analytique et critique ou d’une performance. La photographie pour eux n’était que rarement un élément du système.

Cindy Sherman procède à une sorte de performance théâtrale, une mise en scène à vocation critique, teintée d’ironie Pop Art, ou plus positivement d’un humour noir et grinçant. La photographie est comme la fixation d’un état de la représentation théâtrale que donne, seule dans son studio, Cindy Sherman. Toutefois, dans le travail de l’artiste new yorkaise la photographie n’est ni neutre, ni accidentelle. Elle est une réplication d’une image existante ou supposée telle parce qu’elle est significative d’un certain type de représentation, notamment dans la série Untitled Film Stills : la représentation phallocratique de la femme dans le cinéma hollywoodien des années 1950.

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© Cindy Sherman

« Rétro-ingénierie » et photographie

Cindy Sherman, dans la lignée de la critique Pop Art de la culture vernaculaire reproduit, à travers la mise en scène, des stéréotypes, elle les duplique en les isolant, en les décollant plus ou moins violemment du référent réel (un film) ou fantasmatique (les représentations collectives). Le théâtre d’images et de signes mis en œuvre physiquement dans le théâtre shermanien a intrinsèquement besoin de la photographie comme double sémiotique. C’est la planéité et l’isolement temporel de la photographie qui permet le retour critique de l’image décalée (le théâtre de signes joués ou symbolisés) sur elle-même (l’image collective de la Femme, du désir, du jeunisme, etc.). Une image pour une image.

Medium et matériau

D’autre part, Cindy Sherman a souvent affirmé qu’elle ne voulait pas d’un mode d’expression qui soit élitiste, précieux. La photographie par son approche directe sans intervention de la virtuosité de facture, correspondait mieux à son désir de rester proche de la culture populaire, et d’évacuer la notion d’artiste démiurge, position assez banale dans les années 1970 et 1980.

Le medium de Cindy Sherman n’est pas strictement la photographie, elle est plutôt une performeuse qui joue des rôles, le matériau de sa démarche n’est autre qu’elle-même. La photographie est pourtant bien le medium au sens où il est le milieu dans lequel les performances théâtrales de Sherman prennent tout leur sens. Un environnement aussi fin qu’un plan de projection, comme une feuille qui trancherait la trame temporelle pour donner une surface sur laquelle le réel se retourne comme un gant en se répliquant.

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© Cindy Sherman

Les Masques révélateurs de Cindy Sherman

Les jeux d’apparences et la précarité de l’identité par identification aux modèles de représentation sont le sujet, le motif du travail de la photographe conceptuelle, le paysage sémiotique à partir duquel elle brode des jeux de rôles critiques, sarcastiques et propres à des glissements purement subjectifs et incontrôlés.

La démarche de Cindy Sherman est, malgré la qualification de conceptuelle, intuitive. Certes, elle travaille par séries : les stéréotypes machistes du cinéma hollywoodien, les pleines pages de magazines de charme, la peur de vieillir et le jeunisme, les clowns tragiques du quotidien, etc. Il y a bien une apparence de systématisme, le même modèle, souvent unique, des cadrages assez similaires et en pied, une distance de prise de vue constante, un niveau de détail élevé, etc. Mais les agencements auxquels elle procède ne sont pas préétablis, de son propre aveu, elle ne sait jamais ce à quoi va aboutir la représentation théâtrale en cours. Cette machine désirante spéculaire qui fonctionne comme une sorte de digestion conceptuelle en images fait penser au travail de David Altmejd qui tente de nous faire rentrer dans le « dividu » qu’est un artiste, où l’intime et les représentations collectives se mêlent inextricablement. Les petits théâtres de Cindy Sherman font penser à cela, un processus dérivatif en cours, guidé par un concept à digérer, que l’appareil photographique arrête à des moments spécifiques.

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© Cindy Sherman

Masques, jeux de langage et jeux de rôle

Les jeux de masques de la plasticienne ne sont pas que des décollements analytiques des apparences (artifices) dont se parent l’Homme en société, ou plutôt, en ce qui concerne Cindy Sherman, dans la grande majorité des cas, les masques qui s’apposent aux femmes et qu’elles intériorisent. En effet, Cindy Sherman fait craquer le maquillage et le verni, elle excède le rôle en le surjouant basculant dans le grotesque, le pathétique.

Elle déconstruit selon un axe général, mais pas de manière méthodique et calculée. Au-delà de la critique des coercitions sociales les failles émotionnelles se multiplient : la peur, l’accablement, la mort et l’organique se déversent contaminant la démarche conceptuelle.

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© Cindy Sherman

The Picture Generation

A peu près à la même époque que les débuts de Cindy Sherman, Duane Hanson dans ses mises en scène hyperréalistes déracine des situations sociales où transparaît avec constance le même épuisement, le vide, l’abattement. En 1978, avec Destroyed Room, Jeff Wall, beaucoup plus distancié que Cindy Sherman, crée des tableaux photographiques dépeignant le désenchantement des « temps modernes ». Il le fait grâce à un procédé conceptuel exhibant l’écart entre la source d’inspiration (des tableaux classiques très populaires) et le « document » fictif, totalement reconstruit, d’une scène contemporaine. Il faut rappeler qu’en 2009 eut lieu une exposition retentissante au MET qui sous le titre The Picture Generation 1974-1984 réunissait les artistes de l’appropriation et la déterritorialisation des images inspirées en partie par des structuralistes français et Deleuze. On pouvait voir des artistes féministes déconstructivistes telle que Barbara Kruger, mais aussi Robert Longo, Richard Prince, Jack Goldstein, etc. Cindy Sherman n’est donc pas isolée dans sa démarche, elle se distingue néanmoins par la part subjective et l’implication personnelle en tant que modèle unique de ses clichés.

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© Cindy Sherman

Le bris des icônes

Les masques que portent Sherman son inefficaces et brisés, l’angoisse débonde. On a souvent refusé à l’artiste américaine la possibilité de l’empathie, de la subjectivité débordant le cadre de la critique. Pourtant le gout pour le grotesque carnavalesque, le morbide et la déréliction est patent. Ce qui est dérangeant dans le cadre d’une lecture étroitement politique et sociologique de l’œuvre de Cindy Sherman. Il faut aussi rappeler que dans les années 1980 d’autres artistes tels que Andres Serrano avec Piss Christ (1987) ou Jeff Koons avec Made In Heaven (1989) montraient un profond intérêt pour la chair, l’organique et le morbide.

Il y a dans les jeux de poupées cruels de l’américaine une part d’incontrôlé qui excède le propos et fait preuve d’une récurrence têtue. Les failles qu’exhibent la photographe résident tout aussi bien dans la fracturation du modèle de représentation que dans la contamination gratuite et subjective.

Ce qu’il y a de fascinant dans l’usage des masques par l’acteur c’est que malgré l’écart on continue à identifier le réfèrent. Tout le monde sait que cet acteur n’est pas tel ou tel personnage réel ou fictif, pourtant on dira de lui qu’il est Hamlet ou Bonaparte. Cindy Sherman joue pleinement de cet écart, mais non pas pour nous convaincre de la justesse de l’interprétation. Tout au contraire les masques (travestissements) dont elle s’affuble sont là pour trahir le jeu de rôle des icônes médiatiques et des individus qui se transforment en pitoyables épigones.

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© Cindy Sherman

Le dévoilement des masques

Les masques de Cindy Sherman ne dissimulent pas, ils révèlent. Ce sont des masques vus depuis le revers, à travers les yeux de l’artiste. D’ailleurs le regard de Cindy Sherman souvent dénote par rapport à la farce ou la recopie d’une image cinématographique hypothétique, il examine, paraît ne pas être partie prenante du spectacle qui est donné. Le regard de la photographe est fréquemment rivé vers l’extérieur de la scène, là où la psyché, ( le miroir qu’elle pose en périphérie pour juger de ce qui est vu par l’autre Cindy Sherman, celle qui voit à travers l’objectif) , de contrôle lui sert de retour (spéculaire, une sorte de narcissisme fonctionnel et hédoniste, se voir, s’exhiber, se regarder, jouer une autre, etc.).

Les masques identitaires (d’appartenance, de reconnaissance) échouent chez la plasticienne new yorkaise. Ils laissent jaillir le chaos pulsionnel, pluriel, indiscipliné et en conflit qui se dissimule à peine derrière les masques sociaux. Personne n’est dupe en réalité, mais tout un chacun obéit aux règles des apparences convenables pour éviter, croit-on, le chaos, le sien et celui du tout. Ce qui fait qu’à travers ces portraits de masques sociaux sous forme d’autoportraits apocryphes on aboutit à des séries qui sont comme autant de vanités suivies du cortège mortifère et méditatif qui accompagne ce genre de réflexions artistiques.

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© Cindy Sherman

Ironie, humour et carnaval orgiaque, les séries deconstructivistes

Les images de l’artiste pourraient donc être considérées comme des vanités, mais Cindy Sherman y adjoint souvent une dimension carnavalesque. Les masques tombent, les limites s’effondrent, les pulsions se libèrent oscillant entre excès et morbidité. L’équarrissage analytique de l’artiste oscille constamment suivant les séries.

Dans les premiers travaux tel que Untitled Film Stills (1977-1890) Cindy Sherman pratique l’ironie Pop Art, c’est-à-dire la distance critique qui exhibe l’artifice et la viduité des grands mythes vernaculaires. Mais la distance n’est jamais totalement respectée, les images sont toujours empruntes d’un certain pathos qu’il serait bien difficile de réduire aux mimiques du masque de tel ou tel stéréotype.

Dans A Sex Pictures (1992) le propos est très distancié puisqu’il n’y a plus de portraits en autoportrait de société mais d’improbables assemblages de poupées, prothèses et mannequins anatomiques. Ce travail fait penser à une hybridation délirante entre Hans Bellmer et les machines désirante de Gilles Deleuze, voire les autoportraits érotiques de Pierre Molinier . Le carnavalesque, le grotesque, l’humour noir et sardonique domine, au même titre que dans la série Fairy Tales inspirée des films d’horreur populaires. Là encore la fascination pour la mort et ses atours conduise la critique vers des contrées qui lui sont assez étrangères et irréductibles.

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© Cindy Sherman

Dans les séries Fashion (1983-1984 et 1993-1994), qui ont pour origine des commandes de Maisons de mode, le registre est satirique et sans nuance, on quitte l’ironie pour se livrer à un humour mordant. Cindy Sherman à travers la « grammaire » des photographies « people » (flash acerbe, sourires figés de prédateurs, tenues extravagantes et ostentatoires, etc.) souligne la vacuité de ce jeu sadomasochiste. Pourtant la plupart des femmes qu’elle joue, semble-t-il avec délectation, semblent hantées et menacées par l’angoisse de « ne plus en être », de disparaître du jeu.

La série Clowns (2003-2004) est de l’aveu de la photographe une de celles qui lui donna beaucoup du fil à retordre, car un clown avance masqué, l’acteur est invisible.  Elle ne parvint à trouver le bon angle d’approche que le jour où elle vit le cliché d’un clown au grimage dégoulinant, dégradé par la transpiration. Dès lors que le masque s’était fissuré Cindy Sherman a pu se fixer une approche qui en l’occurrence ne pouvait pas être autre que celle de la tragi-comédie qui consiste en l’occurrence à affublé le quidam du sourire grimaçant des clowns. C’est probablement une de ses séries les moins aboutie, l’écart existant dès l’origine, et l’approche critique étant également moins prégnante, plus immédiate et évidente. Ce qui montre bien que la dimension satirique est essentielle dans son travail.

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© Cindy Sherman

Dans les Society Portraits (2008) Cindy Sherman Reprend son ton acerbe et dépeint l’emprise du « jeunisse » sur les femmes. Dans ces portraits l’artiste apparaît vieillie, marquée de manière assez outrancière, ce qui introduit la tentation de voir dans ces portrait sociaux des autoportraits en creux. Comme si la continuité dans le temps du même modèle pouvait avoir valeur de portrait intime, psychologique, en somme biographique. Si cette approche semble artificielle, le vieillissement surjoué participe néanmoins de ce même penchant chez Cindy Sherman à aller au-delà de la critique politique et sociale, à laisser poindre une empathie avec des femmes victimes du système et d’elles-mêmes. C’est aussi pourquoi au cours du temps elle s’est progressivement éloignée de l’ironie qui pose et juge pour adopter un humour sarcastique quoique jamais dénué d’empathie.

Dans sa dernières série en date, elle reprend le décalage des Untitled Film Stills mais en grand format et en couleur pour mettre en scène des starlettes vieillissantes. Cette série est bien moins caustique que les précédentes, l’ironie Pop Art a fait place à un humour compatissant. Le pathos semble avoir pris le pas sur le concept.

Cette part du travail de Cindy Sherman est irréductible, constante et donne probablement à l’ensemble du corpus sa singularité.

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© Cindy Sherman


Notes et compléments :


Repères biographiques :

  • Née le 19 janvier 1954 à Glen Ridge, USA.
  • 1976 : Diplomée de State University College de Buffalo (New York), en peinture.
  • 1976 : Installation à New York.
  • 1979 : Première exposition personnelle à Hallwalls, espace indépendant crée avec Robert Longo et Charles Clough.
  • 2009 : The Picture Generation une exposition au Metropolitan Museum of Art, New York réunissant entre autres Barbara Kruger, Robert Longo, David Salle, Jack Goldstein, Sherrie Levine, Richard Prince.
  • Séries :
    • Bus Riders, 1976, tirée en 2000.
    • Murdery Mystery, 1976, tirée en 2005.
    • 1977/ Untitled Film Stills, pastiches des films des années 1950.
    • Rear Screen Projections (apparition de la couleur), 1980, mise en situation avec des fonds en projection vidéo évoquant les médias télé.
    • Centerfolds/horizontals, 1981, pour la revue Artforum. Pastiche des pleines pages des magazines de charme.
    • Pink Robes, 1982.
    • Fashion : 4 commandes : commande d’Interview, 1983; commande de Dorothée bis, 1984; Harper’s Bazaar, 1993; Comme des Garçons, 1994.
    • Fairy Tales, 1985, commande de Vanity Fair, paradie des films fantastiques et d’horreur.
    • Disasters, 1986-1989, représentation de l’organique dans une dimension baroque.
    • History Portrait/Old Masters 1988-1990, l’histoire de la peinture revisitée souvent de manière totalement inventée.
    • Sex Pictures, 1992, série sur l’obscénité, les films pornographiques à partir d’assemblages de prothèses.
    • Civil War, 1991, le corps disloqué et putréfié.
    • Surrealist Pictures, 1994-1996, reprend les assemblages prothétiques, accompagnés de manipulation photographiques rappelant les surréalistes.
    • Masks, 1994-1996, et Broken Dolls, 1999, série de portraits à partir de têtes de poupées ou en résine.
    • Hollywood/Hampton Types, 2000-2002 série impitoyables sur les losers d’Hollywood.
    • Clowns, 2003-2004, thème des clowns appliqué à des individus significatifs du point de vue social.
    • Society Portraits; 2008, le jeunisse tel qu’il atteint les femmes mures.
    • Les derniers travaux de Cindy Sherman portent sur les anciennes stars vieillissantes du cinéma.

Similarités :

  • Richard Prince
  • Jeff Wall
  • Taryn Simon
  • Thomas Demand
  • Andres Serrano
  • Elina Brotherus
  • Barbara Kruger
  • Robert Longo
  • La photographie objective allemande

Les prédécesseurs :

  • Claude Cahun
  • Fluxus
  • Pierre Molinier
  • Rembrandt
  • Caravage

L’hyperréalisme :

TOUTES LES BIOS

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Pop Art et Minimalisme Une des spécificités de Gerhard Richter est que bien que tributaire du minimalisme et du Pop Art il n'a jamais fait du centre de son travail un décodage des signes à l'avenant du Pop Art qui ne représente pas mais décrypte, hybride, déracine, les codes de la société consumériste. C’est encore plus vrai des post Pop Art qui ne représentent pas, ils collent, mixent ou commentent en particulier dans le registre de la peinture figurative (Bad Painting, Figuration Libre, Figuration Narrative, Trans-avant-garde, et nombre de jeunes peintres contemporains). De même le minimalisme dans son scepticisme radical à l'égard de la représentation et de la main de l’artiste tente de réduire de manière quasi idéaliste les moyens de l'expression artistique. Richter de ce dernier mouvement retient surtout l'anti subjectivisme, une méfiance profonde pour le pathos, la sentimentalité et un rejet complet des dernières dépouilles esthétiques telles que le point de vue, la facture, le choix averti de l'artiste et donc toute forme de valorisation du sujet, dans sa valeur interne supposée comme dans sa mise en valeur par les effets de style. Les débuts de Richter sont profondément marqués par le désir méthodiquement canalisé de ne pas être personnel, équilibré, expressif. C'est là aussi un sentiment qu'il partage avec son époque se manifestant par le rejet de l'expressionnisme dans ses effets idiosyncrasiques et ses compositions disloquées dramatisantes. Sauver la Peinture Le paradoxe est que malgré cette approche sceptique à l'égard de la figuration Richter continue de croire à l'intérêt de représenter sinon figurer. Ou plutôt il est intimement convaincu de la validité de la peinture comme médium de représentation sinon de figuration. Pour lui comme pour tous les successeurs de Dada et Duchamp il est admis que la peinture au même titre que d'autres moyens de représentation n'est pas une fenêtre sur le monde. Cependant selon lui cela n’invalide pas l’idée que le pictural est un langage possible pour évoquer notre approche du réel. C'est d'ailleurs pourquoi, avec une bonne dose d'ironie, Richter ne cessera de dire que du point de vue de la relation au monde la photographie est supérieure à la peinture. De là naitra le Photo Painting qui reproduit une photographie dans l'indifférence complète au sujet, au réfèrent. Ce que Richter reproduit ce n'est pas la figuration du réel mais une photographie pour sa qualité de surface où s'imprime de manière contingente une image des choses. La surface du réel On en vient alors au centre de l'activité du peintre allemand, ce qui l'intéresse, au même titre que certains peintres abstraits ou minimalistes, c'est la surface elle-même dans sa capacité à fixer une image bien spécifique, qui n'est pas le réel en image, mais l'image elle-même dans la finesse de son plan de projection du travail du peintre qui en l'occurrence n'exprime rien. Richter ne se préoccupe que de l'interface, c'est pourquoi il peint comme le ferait un appareil photographique, mécaniquement, pour mieux tenter de capturer les qualités si étranges de la surface picturale. Mais Richter aussi méthodique soit il n'est pas dogmatique, car malgré ce programme très ténu dans son objet et immensément vaste dans ses développements possibles, il ne s'interdit jamais des écarts qui peuvent donner l'impression que le corpus est complétement hétérogène. C'est ainsi qu'il ne cessera jamais d'aller simultanément de la figuration à l’abstraction et inversement car pour lui le sujet est exactement le même puisque le problème n'est pas ce qui est représenté mais comment il est possible qu'une image se fixe sur la surface et qu'est ce qu'elle dit de la relation au monde comme langage (visuel). Mais même dans cette démarche continue aux dérivations protéiformes Richter s'autoriser des contradictions fructueuses. Ainsi les séries sur la bande à Baader, Ulrike Meinhof ou le nazisme dérogent en apparence à l'idée de ne pas avoir de sujet, ni d'affect pour ce qui est représenté. Or l'effacement progressif des portraits de Ulrike Meinhof étendue morte après son suicide supposé montre précisément à quel point Richter est cohérent et qu'il poursuit obstinément l'étude de ce qu’est la représentation, non pas en général, mais en peinture. Le visible, l’Histoire et les sentiments Autre chemin de traverse que le peintre emprunte à maint reprises, une certaine forme apparente de sentimentalisme et d'historicisme notamment quand il aborde les sujets à connotations intimistes tirés de photographies de vacances en particulier ou quand l’homme cède à son voyeurisme interloqué pour la mort, le sexe, la guerre, l’horreur et le monstrueux. La fascination pour ce qui ne peut être dit, ce qui ne peut être rendu intelligible ou représentable. La disparition d’Ulrike Meinhof dans les flous de plus en plus intenses et les gris toujours plus échelonnés manifeste la stupéfaction, et l’empathie qui s’étiole dans une figuration en délitement. L’émotion ne sont donc pas systématiquement absents du travail de Richter, tout du moins dans ce qu’une image peut faire advenir de présence des choses et des êtres. Eisberg et Venedig en sont de bons exemples. Dans les deux cas Richter se situe ouvertement dans la perspective de l'histoire de l'art et en particulier le romantisme allemand mais aussi Turner et les peintres italiens de la lumière. S’il y a bien dans Eisberg une dimension personnelle, assez nostalgique, en raison de sa situation de l'époque (divorce d'avec Marianne « Ema » Eufinger en 1981, mariage avec Isa Genzken en 1982 et première séparation en 1984) ce qui l'intéresse plus durablement et profondément c'est, presque dans une optique impressionniste, de voir comment la lumière peut se fixer sur la toile, non pas de rendre l'illusion d'une ambiance mais de voir comment la surface picturale peut rendre la présence en son sein. En recopiant la lumière telle que saisie dans la photographie reproduite le but est bien de se concentrer sur le plan pour voir comment il peut iriser. Venise et son histoire Ce qu'il y a de saisissant concernant les « Venedig » c'est que ces toiles ne sont absolument pas illusionnistes, a contrario d’Eisberg qui accumule les glacis dans une touche presque invisible. Tout au contraire avec Venedig (Island) et Venetig (Treppe) la touche est très marquée et semble imiter les clapotis de l’eau, la facture est donc excessivement visible comme si Richter, à l’instar d’un Monet dépeignant l’ambiance du Grand Canal de Venise, voulait retranscrire l'impression. Cette toile semble être davantage une description qu’une reproduction. La ligne programmatique de la « peinture photographique » est en partie transgressée. Pourtant hormis un hommage à Monet et aux effilochements de Turner il est difficile d’imaginer une intention impressionniste au peintre allemand. On a plutôt le sentiment que l’abstraction, qui dans certaines œuvres recouvre par une ample gestuelle l’image peinte photographique (ParkStück, 1971), est ici au travail dans la touche elle-même. On est très loin dans ces pièces de l’hyperréalisme flou, à tel point que le flouté aboutit à des masses presque informes, il ne tire pas la texture il l’amollit procurant à l’ensemble un effet atmosphérique assez inattendu dans la production de l’artiste. A y regarder de plus près on note toutefois que les photographies ayant servies de motifs présentent les mêmes qualités que le peintre a exacerbé. Il semble donc impossible à Gerhard Richter d'ignorer l'immense production artistique autour de Venise, cela va des arts plastiques au cinéma et la musique. La citation et l’hommage étaient probablement inévitables. Ce n’est cependant pas complètement nouveau les paysages de Corse de la fin des années 1960 faisait preuve des mêmes qualités atmosphériques rappelant sciemment Turner. Touchant Venedig (Treppe) on peut aller jusqu’à déceler une référence à Seurat, notamment en raison de la présence de ce personnage assis au bord de l’eau qui rappelle « Une Baignade à Asnières », sujet qui pourtant figure bien dans la photographie que Gerhard Richter s’est attelé à reproduire. Atlas Néanmoins l'Atlas de Richter qui collecte coupures de presse, images anonymes et photographies de famille ancienne ou plus contemporaine de sa vie privée est là pour constituer une réservoir de clichés choisis suivant l'impulsion du moment et constituant une sorte de monde en attente composer d'images signes (photographie d'actualité ou d'histoire) et d'images référentes (clichés d'anonymes) ou privées dans tous les cas en reposant dans l'Atlas du réel elles se déterritorialisent et en attente d’être prélevées pour des fragments en partie neutralisés par le temps de décantation de l'archivage du réel photographié Ready-made « Depuis Duchamp, on ne fabrique plus que des ready-mades, même si nous les peignons de notre main. » Notes, 1982-1983, Gerhard Richter Les photos utilisées par Richter pourraient passer pour des ready made mais la problématique relève bien davantage de l'aperception du réel que du décodage pop art des signes Un ready Made n'est pas à proprement parler un objet réel c'est un performatif un acte du langage (artistique, esthétique) qui déclare que ceci est un objet d'art. L'objet n'existe que dans l'énonciation et la culture commune à l'artiste performeur et le regardeur. Le paradoxe dans lequel se tient Richter est de prendre des images toutes faites, des ready-mades qu’il reproduit _pas si fidèlement que cela_ pour se tenir dans l’interstice et tenter de faire advenir, dans un certain désespoir, ce qui dans cette photographie est présent et que seule la peinture avec son langage propre pourrait révéler et, dans le même temps, se révéler elle-même dans sa puissance expressive particulière. Donc même si l'influence pop art et dadaïste à probablement joué un rôle dans la subsomption de la peinture à la photographie, ce qui intéresse avant tout Richter c'est le visible possible en puissance et comment il peut être rendu en acte par les moyens de la peinture figurative ou pas. Lignes et Overpainted Venedig 1986 abstract et Venedig 1986 abstract 2 Pour Richter cette figuration du réel reproduit mécaniquement n'est ni illusionniste ni réaliste elle peint une image elle est fondamentalement abstraite car elle ne décrit pas ce qui est vu de même que l'abstraction richterien est comme un saut au sein de la matière picturale de l'image. D’ailleurs Gerhard Richter n’a jamais tenu séparées l’abstraction et la figuration, les Overpainted Photographs (cycle qui débute au milieu des années 1980) procèdent d’une surcouche abstraite, gestuelle sur une photographie qui finira par être partiellement ou complètement oblitérée. Hormis la référence probable à l’art informel ce indique précisément que la surface de représentation qui dédouble des images du réel n’est ni illusionniste et encore moins réaliste, elle est au même titre que le geste de la peinture informelle strictement située engloutie dans le plan de la surface picturale. C’est le paradoxe étourdissant de la peinture imitative de Richter, la copie indifférente de l’objet parfois saisissante ne s’intéresse qu’à l'autre présence du réel à travers la toile en se tenant le plus éloigné possible du pathos. Gerhard Richter veut probablement montrer que la peinture est fondamentalement une abstraction au sens strict comme artifice technique qui extrait et synthétise même quand elle reproduit. Les agrandissements démesurés de petits fragments de 2 cm de peinture sont l’aboutissement littéral de cette conception, de même que les grands « Striche » qui sont des reproductions agrandies de coups de pinceau. La peinture de Richter est un perpétuel changement d’échelle physique, perceptuelle comme intellectuelle. On s’éloigne ou se rapproche, on voit plus ou moins flou, on plonge dans la texture de la surface picturale ou on observe son irisation. Dans ces balancements constants du figuratif à l’abstrait, l’invisible et l’identifiable, Richter tente de faire émerger une épiphanie sous la forme d’écart. « Je voudrais obtenir une densité sans sentimentalisme, qui soit la plus humaine possible . » Notes, 1981, Gerhard Richter.
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Gerhard Richter, série vénitienne

Gerhard Richter dans la série consacrée à Venise donne une image concentrée de sa carrière, où par-delà les dogmes, les frontières arbitraires entre la figuration, l’abstraction ou l'informel, l'essentiel est la surface picturale rendant le visible possible.
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Robert Longo ombre et lumière


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David Altmejd artiste de l’entropie


Cindy Sherman : œuvres



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