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Aminata Sow Fall : Le revenant

Par Gangoueus @lareus
Aminata Sow Fall : Le revenant
Je vous raconte mes histoires avec les livres et les auteurs. Elles ne sont pas toujours heureuses, mais je dois dire que ma rencontre avec Aminata Sow Fall fait partie de ces moments bénis qui vous font oublier certaines situations. Le centre Wallonie-Bruxelles organise régulièrement à l’automne le festival Francophonies métissées. Il y a souvent des pays invités. Et il y a quelques années, le Sénégal fut à l’honneur de cette manifestation. Les écrivains invités furent Aminata Sow Fall, Nafissatou Dia Diouf et Felwine Sarr. Rien que pour la Grande Royale, ainsi que la nomme gentiment les dakarois, il fallait que j’assiste à cette rencontre. Un peu avant le démarrage de la rencontre, je profitais d’un temps libre pour me présenter à cette maman de la littérature africaine. « Réassi Ouabonzi, animateur du blog Chez Gangoueus ». A ma grande surprise, non seulement elle connaissait mon blog, mais elle avait suivi des échanges passionnants autour de son roman La grève des battù. Je faisais remarquer à l’auteure que ses livres n’étaient pas disponibles en France et qu’on m’avait dit un très grand bien de son premier roman Le revenant. Elle me le fit parvenir de Dakar.
Aminata Sow Fall n’écrit pas des pavés. Certains pensent que produire des romans de mille pages pourraient constituer la marque de la densité de leur travail. C’est très contestable. En tout cas le roman d’Aminata Sow Fall en est la preuve. Pourtant, tout ce qu’elle exprime dans ce texte est extrêmement subversif au regard de la société sénégalaise. Le revenant est donc son premier roman. Il raconte l’histoire de Bakar Diop, un jeune habitant de Ndakaarou. Plus précisément de Colobane. Ses parents font partie de populations rurales qui sont venues s’installer récemment à Dakar. Des personnes sans condition sociale, vivant dans le dénuement le plus total. Il y a lien très fort entre les membres de la famille. Yama, Bakar, Bigue sont tous très liés. Le père n’a pas toujours été un modèle de vertu. Tante Ngoné a fait l’objet de violences conjugales de la part de cet homme. Yama rencontre un riche commerçant par l’entremise de son frère et par ses qualités de courtisane. Bakar quant à lui rencontre une jeune femme appartenant à une caste supérieure dont il s’éprend et qu’il finit par épouser.
Le revenant est une réflexion sur les rites familiaux et communautaires qui sont très importants dans la société sénégalaise. Qui suit la littérature sénégalaise, se souvient de ce fameux texte de Mariama Bâ, Un chant écarlate, où la grande souffrance pour la mère d’un jeune cadre sénégalais était de le voir s’acoquiner avec une femme blanche et être ainsi privée de toutes les cérémonies traditionnelles et religieuses comme le baptême, le mariage qui vous donne une place en communauté… Aminata Sow Fall dans son premier roman - antérieur au texte que j'ai cité - questionne ces cérémonies. Elle ne les remet pas en cause mais elle porte un regard acéré sur ce qu’elles représentent. Celui qui appartient à une caste inférieure ou qui vient d’un milieu plus pauvre tente de prouver sa valeur. Le faste démontré lors des cérémonies est nourri ici par des frustrations qui sont entretenues par une société hiérarchisée. Ainsi Yama, qui me semble le personnage le plus intéressant de ce roman, parce que le plus vrai dans son désir d’exploser les barrières en usant de la richesse de son mari, ne se refuse aucun plaisir pour tourner le dos à une enfance miséreuse. L’affront suprême que son frère bien-aimé lui cause est matérialisé par une arrestation suite à un détournement d’argent pour satisfaire les désirs de sa femme…
Si je comprends la démarche d’Aminata Sow Fall qui excelle dans l’élaboration de ces fresques sociales magnifiques, elle fournit une critique difficile mais emballante. Cela étant dit, je n’ai pas compris son propos dans la dernière partie du livre. La mise en scène macabre de Bakar vaut certes le détour. Il y a un côté « Comte de Monté-Christo » dans la vengeance que Bakar veut prendre à l’égard de sa soeur Yama qui l’a abandonné quand il a été en prison. Et c’est là le point de friction pour moi. Tout dans le roman, justifie la posture de Yama. Son frère est rejeté par sa belle famille parce qu’au final il incarne le parvenu, le mal "casté" qui a souillé par sa condition l’honneur de la famille de sa femme. Yama est lucide sur cette société qui ne fait pas de cadeau à ceux qui défient l’organisation sociale. Doit-on condamner son matérialisme comme Bakar veut en faire la démonstration ? 
Indisponible en France, la romancière a bien voulu me faire parvenir ce roman depuis Dakar.
Naturellement, il y a plusieurs manières de lire ce roman. Il a plus de 40 ans. Mes ami.e.s sénégalais me diront si son sujet principal est toujours d'actualité. Un bon roman vous renvoie à des oeuvres qui vous ont interpellé. Peut-être suis-je sensible à la figure de Julien Sorel dans le fameux roman de Stendhal, Le rouge et le noir, personnage qui brise le règne des castes françaises. Et je ne peux m'empêcher d'opposer au progressisme proposé par l'écrivain grenoblois le conservatisme qui ponctue ce premier roman d'Aminata Sow Fall. C'est aussi un roman qui défend l'amitié et la solidarité.
Réflexion de Bakar en prison :
Pourquoi ces listes interminables de parents, d'amis et même de connaissances vagues ? Pourquoi les gens aiment-ils tant s'entendre nommer à la radio et pourquoi profitent-ils d'un deuil qui les frappé pour assouvir leur désir de renommée ? Toutes ces questions restaient sans réponse dans l'esprit de Bakar qui se souvenait d'avoir entendu, quand il était libre, des hommes et surtout des femmes dire : " Mais, j'avais perdu un parent, j'étais même dans le bulletin !".
Et le paradoxe des paradoxes était que, fréquemment, les annonceurs, plus soucieux de leur propre identité que d'autre chose, oubliaient de faire figurer le nom du défunt de la liste, ce qui confirmait Bakar dans ses impressions. 
P. 51 Le revenant. Aminata Sow Fall.  
Ce roman n'est malheureusement disponible qu'au Sénégal. On espère que les NEAS se décideront à numériser certains chefs d'oeuvres afin que de nombreux lecteurs puissent se le procurer sur les grandes librairies numériques.
Aminata Sow Fall, Le revenantNouvelles Editions Africaines du Sénégal, première parution en 1976, 125 pages

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