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(Anthologie permanente) Denis Ferdinande, Astéroïdes

Par Florence Trocmé

Asteroides-de-denis-ferdinandeDenis Ferdinande publie Astéroïdes
aux éditions Atelier de l’Agneau.
Dans décembre, chambre d'hôtel qu'il fuit ce jour pour le grand air, voudrait atteindre les hauteurs de la cité s'y échine, parvenant à sa limite qui est frontière jamais encore il ne s'y rendit, tel sentier tout de pierrailles est l'unique passage, que la neige ne recouvre pas ce jour ou alors il faut aller plus avant, plus haut encore, et surmonter le Temps du vertige, pour tel plateau que devance un écriteau signalant le nom de la contrée nouvelle se déployant sous son pas, en effectue-t-il d'autres, au risque d'un non-retour, s'il se perd, s'il est écrit, l'entend-il, qu'il se perdra s'il, et cela tient lieu, il entend, d'avertissement, rebrousse chemin, donc — comme si soit dit en passant, il n'était pas possible de mettre en cause l'avertissement —, alors même qu'une neige se déclare n'est-il pas temps, la descente de la pente en est presque alerte, presque — il y a vertige encore —, jusqu'à retrouver la cité à peine telle qu'elle fut s'en écartant je veux dire le ciel aura changé, toute couleur ayant viré du bleu au blanc n'est-ce pas le jour encore, lueurs de réverbères toutefois comme estompées par la chute de neige qui se prolonge quoiqu'infime, à présent. Où en étais-je questionne-t-il de façon soudaine, non pas qui étais-je — quand cela —, ni où étais-je — quand cela —, mais peut-être, qu'était la dernière phrase, celle qui, entre toutes, était à retenir, attendant sa poursuite,
[Note n° 581] Écrivant. Le rêve diffusa cette nuit
jusqu'au moyen mnémotechnique de garder au
réveil le rêve, ou plus exactement sa phrase —
phrase gardant la phrase —, averti de la hantise
qu'au réveil toute phrase du rêve se perdît, or
quelles phrases étaient-ce, n'y voir quoiqu'il en
soit de l'effort, de l'effort actuellement, aucune
possibilité de rappel, aussi bien de la phrase
initiale que de celle visant à la garder, laquelle
dernière eût contrecarré l'expérience commune
de l'oubli s'agissant du rêve, il n'en aura rien été,
si ce n'est ce seul reste que fut le désir en rêve de
se rappeler le rêve. Fin de note, r'enfouit tout
feuillet en sa sacoche, demeurant attablé en
cette terrasse, quand y prit-il place, afin de
poursuivre du regard les foules de passage, où
s'acheminent-elles, et que leur est ce qui tombe
du ciel, les atteignant au visage, une indiffé-
rence, nulle gêne, les rejoindra dans l'heure,
effectuant les allers-et-venues de certaines
d'elles, jusqu'à rompre cet enchaînement si-
gnant le temps de regagner l'hôtel,
L'hôtel, nuit tardive, n'a plus en cette heure la force de l'attablement, peut-être celle seule d'une relecture, sur le lit même, des notes portées sur le septième carnet ce jour, en perdît-il le fil, désagrégation du sens le sommeil gagne, un train l'achemine vers l'est l'aurore levée, premier cigare, et flasque d'un alcool redoutable dont il n'ingère qu'une gorgée seule, mais suffisante à forcer le réveil, un reste d'épicéas dans le lointain, puis ayant longé tout un temps la Volga, vient la steppe vitrage dont il se détourne, fumant encore, ouvrant sa sacoche afin d'en extraire une liasse de feuillets vierges or n'ayant qu'à peine écrit — deux trois fragments ou esquisses d'une note à venir, d'inégales taille et teneur, avec espaces impartis à la blancheur afin, un instant, de rendre raison d'elle —, l'interrompt en ce compartiment l'être la plus immédiat lui faisant face, en une langue qu'il peine à identifier, dont il n'identifiera dans un instant que l'inexistence quand bien même serait-elle actuellement parlée, afin — possibilité la plus possible — de mettre à l'épreuve son savoir des langues jusqu'à celles mêmes inexistantes à ce jour. L'épreuve concluante, le français retourne s'il était la langue initiale, et voici qu'ils conversent, ou plutôt, que l'être en question l'interpelle, sur des sujets qui eussent requis quelque attention il y a peut-être un siècle, l'inactualité, quand bien même aurait-elle nom d'actualité, et il y faut ici le pluriel, forçant en l'occurrence l'impression de déjà-vu ayant cours, il lui semble ainsi falloir rompre l'interruption, et reprendre ce qui fut appelé il y a un instant esquisses *,
[Note n° 582] Il faudrait, à ce passage, le fluvial,
telle extension qu'aucune note jamais n'arrêtât
ainsi qu'en un récit devant tout à la convention
[eût-elle été contrecarrée mais naguère], récit
fleuve, or est-ce possible encore, l'interruption
ayant lieu ici même, que l'auteur signale comme
s'il en était soit dit en passant une invisibilité
hors ce signal, trop tard, non que le récit ne
puisse se poursuivre après la note, mais
l'interruption en est ineffaçable, se devait
d'avoir lieu, tout un équilibre du volume y est
attenant, faisant règle, coup [le récit] et contre-
coup [la note] en une chaîne elle ininterruptible,
si ce n'est la mort frappant, à savoir qui l'on dit
être l'auteur, mais plus encore, faisant coup
double, par lui le volume qu'il s'évertua à dé-
ployer tout un temps durant, n'y attenterait
ainsi que la mort, qu'il y eût ou non point final,
peut-être en effet celui-ci est impossible, sauf à
se savoir mourant et mourir, s'efforçant au préa-
lable de porter la marque, débordât-elle de son
espace infime avec l'effondrement, de l'ultime
point.
Denis Ferdinande, Astéroïdes, Atelier de l’Agneau, 2018, 82 p., 16€, pp. 43/45


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