Depuis l'ouverture en août dernier de la boutique physique Thés du Japon dans le quartier de Yanaka à Tokyo, il m'a semblé évidemment et important de faire plus pour la promotion des thés de la région du Kantô. Aussi, je commence donc en ce mois d'octobre par les plus célèbres, ou les moins inconnus pourrait-on dire, les thés de Sayama.
Sayama-cha 狭山茶 désigne les thés produits dans le département de Saitama juste au nord de Tokyo. La production est concentrée essentiellement sur les villes d'Iruma, Tokorozawa, Sayama, mais une 10aine de municipalités produisent du thé. Le thé produit dans la partie montagneuse ouest du département est le pus souvent appelé thé de Chichibu.
C'est le plateau de Musashino qui constitue la principale aire de production, réputée pour la qualité de sa terre et son excellent drainage (le rendant en revanche impropre à la riziculture, ce qui expliquer qu'on y ait produit du thé très tôt dans l'histoire).
L'an dernier, avec 698 tonnes de aracha, Saitama était le 12ème département producteur de thé au Japon.
Une particularité de la région est de voir les producteurs raffiner et vendre eux-mêmes leur production, on y trouve peu de grossistes.
Le climat tend à y donner de feuilles assez épaisses, si bien qu'un étuvage important est souvent nécessaire. Ainsi, on y trouve aujourd'hui presque exclusivement du fukamushi ou des étuvages intermédiaires.
Le département a aussi son centre de recherche qui a donné naissance à de nombreux cultivars, le plus ancien étant Sayama-midori, le plus récent Oku-haruka, le plus connu et répandu étant Sayama-kaori.
L'histoire du thé à Sayama est très ancienne et remonterait même à l'époque de Heian. Disciple de Saichô, le moins Ennin fonde le monastère Muryôju-ji en 830 dans l'actuelle ville de Kawagoe. Il y planta du thé dans un but médical, inaugurant ainsi ce qu'on appelle alors thé de Kawagoe.
Il est aussi noté que Myôe, fondateur du Kôzan-ji à Toganoo en 1206 aurait aussi transmis des graines de thé à Yamashiro (Kyôto), Yamato (Nara), Ise (Mie), Suruga (Shizuoka) et Kawagoe du Pays de Musashino (Saitama).
Dans un document de 1320, le moine Kokan cite parmi les régions productrices de thé Musashi-Kawagoe. Kawagoe est alors déjà une région de production de thé réputée.
Néanmoins, à la fin du 14ème siècle, après les guerres de l'époque Nanboku opposant le nord au sud, le thé de cette région de Musashino disparaît, laissant des théiers servant de haies (keihan-cha) et utilisé pour les bancha populaires.
Durant l'époque d'Edo, dans cette zone peu adaptée à la riziculture les paysans développent la vente du bancha, mais cela ne fonctionne pas sur l'important marché que représente Edo (futur Tokyo), où à partir de la fin du 18ème siècle le sencha étuvé commence à avoir du succès.
Au début du 19ème siècle on s'essaie à la production de kama-iri cha, mais on part surtout étudier la méthode à l'étuvé de Uji, et vers 1820, après une dizaine d'années d'expérimentations, du sencha de cette région de Musashino commence à être vendu à Edo.
On commence ensuite à parler de Sayama-cha plutôt que de Musashi-Kawagoe-cha.
Avec l'ouverture du Japon et du port de Yokohama en 1859, le thé de Sayama est
exporté vers les Etats-unis.
En 1875 est fondé dans l'actuelle Iruma la Compagnie du Thé du Sayama, dans le but d'exporter directement le thé de la région sans passer par les négociants étrangers installés à Yokohama, une première au Japon. Mais les difficultés commerciales mirent fin à cette entreprise en 1883.
En 1885, suite à de mauvaises manipulations sur les machines inventées par Takabayashi Kenzô qui donna du thés de très mauvaise qualité (odeur d'huile, etc) le département de Saitama interdit l'utilisation de machines pour le thé.
Pourtant, Takabashi mis au point en 1898 la machine de roulage grossier (sojûki, concept toujours utilisé aujourd'hui) à Kikugawa, permettant à la production de thé de Shizuoka de croître rapidement. Le thé de Sayama est alors à la traîne et il faut attendre 1912 pour y voir la mécanisation commencer.
C'est après la seconde guerre mondiale que le paysage change, passant des théiers "haie", aux plantations.
Parmi les quinze 1ers cultivars enregistrés en 1953 se trouve un cultivar sélectionné à Saitama à partir de théiers issus de graines de Uji, Sayama-midori.
De nombreux cultivars virent ensuite le jour, Sayama-kaori étant le plus connu, mais aussi, Oku-musashi, Musahi-kaori, Hokumei, ou plus récemment Yume-wakaba ou Oku-haruka.
Une bonne résistance au froid est une qualité sine qua non pour cépages de cette région aux hivers rudes.
Cet aperçu de l'histoire de cette région de production, réduite mais ou l'on trouve de nombreux jeunes producteurs, permet il me semble d'entrevoir les raisons des caractéristiques actuelles de Sayama.
Une longue histoire et culture du thé, une volonté d'indépendance, un goût pour l'innovation avec des succès et des échecs naturellement.
On parle parfois d'une méthode de séchage finale "sayama-bi-hire", en pensant à tord à une torréfaction très forte, mais il s'agit en réalité une méthode de séchage sur le hoiro, plan de travail du malaxage manuel, qui fut réputé à l'époque de l'exportation pour donner aux thés ainsi séchés une très grande capacité de conservation. Cette méthode est bien sûr aujourd'hui impossible à mettre en œuvre sur des quantités importantes de thé.
Je vous propose ce mois-ci sur Thés du Japon quatre sencha de Sayama, quatre cultivars différents, de l'antique Sayama-midori au très jeune espoir Oku-haruka, quatre saveurs représentatives de cette région de production à la personnalité et au terroir bien à elle.