Franchement, je ne saurais vous dire si je dois vous recommander “22 July” de Paul Greengrass. Pas parce que c’est un mauvais film, au contraire il est très bien mis en scène et très bien interprété. Mais l’histoire est difficile, complexe et douloureuse. Mais l’histoire est difficile, complexe et douloureuse. Et je ne sais pas vraiment quel ‘bien’ cette oeuvre peut faire. Je ne sais pas combien il peut être bon et utile de se pencher sur un crime immonde et sur les motivations de celui qui l’a commis. J’apprécie le fait que le réalisateur ne prend pas son sujet de haut, qu’il aborde cette tragédie avec énormément de sensibilité, qu’au lieu d’apporter des réponses, il avoue sa perplexité, son désarroi, son trouble. Certes, il y a la tentation du spectaculaire - comment faire autrement quand il s’agit de raconter un massacre de pareille ampleur - mais Peter Greengrass opte pour une approche quasi-documentaire qui évite la grandiloquence et la simplification à outrance. La caméra est à la fois chirurgicale et nerveuse, au milieu du chaos elle cherche des points fixes, des choses immédiates, elle laisse tomber Breivik pour se concentrer sur l’énergie des enfants qui se sauvent, se cachent. Le récit lors des premières 45 minutes va très vite, s’attache aux faits, refuse de dilater le temps, refuse de styliser la violence, énumère les choses de la façon la plus neutre possible. Le carnage a lieu, a eu lieu, et rien ni personne, aucun héros n’a pu l’empêcher. Une fois cette première partie (sèche et bouleversante) achevée, le film prend une dimension à la fois humaine et idéologique. D’une part, il décrit avec beaucoup de tact et réalisme les conséquences des souffrances infligées par Breivik à tant de jeunes et familles; d’autre part, il expose comment une société démocratique, une communauté d’individus régie par des règles morales, répond à un discours raciste, ignoble et enfermé dans son implacable logique.Dans ce film, la violence est surtout psychologique et morale : on ne comprend pas le geste assassin, la haine et l’inhumanité du personnage. On ne comprend pas, on ne peut pas comprendre, ce “monstre” qui assume pleinement son acte et qui serait prêt, comme il se plaît à le répéter, à le refaire.À un certain moment du film, lors des séances de tribunal, l’une des rescapés dit quelque chose de très émouvant et significatif. Elle explique d’abord son bonheur d’avoir été accueillie en Norvège après avoir fui avec sa famille un pays en guerre. Elle explique ensuite comment ce rêve s’est transformé en cauchemar sur l’île d’Utoya. Elle qui a perdue sa jeune soeur pendant la tuerie pose ces simples questions en regardant Breivik droit dans les yeux : « Suis-je suis réellement aussi dangereuse que ça, pourquoi avez-vous voulu me tuer, qu’ai-je fait de mal ? ».On est ici au cœur de l’idéologie nazie, et de l’ignominie nazie : tuer des gens non pas pour quelque chose qu’ils auraient fait, mais pour ce qu’ils sont, pour l’étiquette qui leur colle au corps, pour leur nom ou leur couleur de peau. La force du film vient aussi du fait qu’il est constamment en résonance avec ce qui s’est passé entretemps ces dernières années, comment les idées nauséabondes de Breivik ont pris de l’ampleur, et sont aujourd’hui proférées de façon décomplexée par de plus en plus de gens. Rejeter l’autre sans lui donner une seule chance, c’est aussi lui tirer une balle dans le dos. Face à l’horreur qui avance et prend ses aises, le film laisse quand même voir des forces positives à l’œuvre. L’élan de sympathie et de tristesse partagée. La détermination de traiter Breivik de manière civilisée et de lui garantir ses droits en tant que citoyen.
Était-il nécessaire de faire ce film ? Probablement oui, mais ça dépend de qui va le regarder : les xénophobes qui sont convaincus de leur propre raisonnement ne changeront pas leur point de vue; mais il y a quand même ce regard qu’on peut leur adresser, qu’adresse le jeune Viljar Hanssen à Breivik, lui disant :
pauvre bougre, tu n’as pas gagné, ta haine ne nous a pas vaincus.