Partager la publication "[Critique] FIRST MAN – LE PREMIER HOMME SUR LA LUNE"
Titre original : First Man
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Damien Chazelle
Distribution : Ryan Gosling, Claire Foy, Jason Clarke, Kyle Chandler, Corey Stoll, Patrick Fugit, Lukas Haas, Ciarán Hinds, Olivia Hamilton, Christopher Abbott…
Genre : Drame/Biopic/Adaptation
Date de sortie : 17 octobre 2018
Le Pitch :
Bien qu’il fit l’objet des réticences de certains de ses supérieurs, le pilote Neil Armstrong finit par être sélectionné pour participer au programme Gemini de la Nasa. Son comportement assidu et ses excellents résultats le qualifiant rapidement pour l’étape suivante, à savoir le programme Apollo. C’est ainsi qu’il s’envolera en juillet 1969 pour la Lune et deviendra le premier homme à y poser le pied. Histoire vraie…
La Critique de First Man – Le Premier Homme sur la Lune :
Comment rebondir après les succès consécutifs de Whiplash et La La Land ? Damien Chazelle ne s’est peut-être pas posé la question mais nous l’avons à n’en pas douter fait pour lui. Propulsé dans la stratosphère hollywoodienne, tout spécialement après le carton de La La Land, le jeune réalisateur était surveillé de près. Et qu’elle ne fut pas notre surprise quand il fut annoncé qu’il allait s’atteler à un biopic de Neil Armstrong, le premier homme à avoir posé un pied sur la Lune en 1969. Un projet différent donc, loin des rythmiques et de la musicalité de ses deux précédents faits de gloire… À moins que…
Fly me to the Moon
Il fallait se douter que Damien Chazelle n’allait pas refaire Apollo 13, lui qui n’a pas grand chose en commun, dans sa démarche de cinéaste, avec quelqu’un comme Ron Howard. Il fut donc rapidement évident que Chazelle allait aborder cet épisode déterminant de la conquête spatiale d’une manière différente et personnelle. Et c’est effectivement ce qui s’est passé. La conquête spatiale qui n’intéresse pas Chazelle autant que son principal protagoniste, le héros de l’Amérique Neil Armstrong. Le scénario de Josh Singer, adapté de l’œuvre de James R. Hansen lui donnant justement l’occasion de surtout se focaliser sur le parcours d’un seul homme et non sur l’élan national, même si celui-ci se devait également d’être mentionné. First Man n’a rien du blockbuster spectaculaire à la gloire de l’Amérique. First Man ne prend par l’alunissage d’Apollo 11 comme l’acte qui d’une certaine façon, participa le plus au prestige et à la grandeur des États-Unis sur un plan mondial. La preuve la plus parlante ? Il ne montre pas le planter de la bannière étoilée sur le sol lunaire. Même quand Armstrong et Aldrin sont tout là-haut, le film reste focalisé sur Armstrong. On se moque ici du symbole de l’Amérique à la conquête des étoiles car on s’intéresse davantage au parcours de vie d’un homme condamné à être éternellement seul. Pas physiquement, car il est marié et a des enfants, mais psychologiquement. Comme si, façonné par son expérience, ses ambitions et le drame qui a profondément écorché son âme, et qui prend beaucoup de place dans le métrage, Armstrong était isolé dans une bulle de perpétuelle solitude.
« Ignition »
Pris de cette façon, le récit ne pouvait trouver meilleur acteur principal que Ryan Gosling. Et ce même si ce dernier se réfugie une nouvelle fois derrière le même genre de mutisme dont il a fait preuve dans Drive, The Place Beyond The Pines ou La La Land et Blade Runner 2049. Taiseux à l’extrême, renfermé, dans ses joies et ses insondables souffrances, à l’opposé d’un Buzz Aldrin plus taquin et jovial joué par l’excellent Corey Stoll, le Neil Armstrong de Ryan Gosling s’impose par son silence, ses intentions, son déterminisme et sa résilience. Autant dire qu’on est très loin du héros américain dans toute sa splendeur. On n’est pas dans Apollo 13 ne l’oubliez pas. Tout le reste est au diapason. Whiplash et La La Land exploraient chacun une facette différente du jazz. First Man aussi à sa façon, mais pas dans le fond. D’où la filiation évidente entre les trois œuvres même si First Man témoigne de la capacité de Chazelle à s’adapter pour embrasser des univers et des genres différents sans se départir de sa « patte ». Universal lui ayant laissé suffisamment de marge de manœuvre pour que son film soit au final conforme à sa personnalité et donc à sa volonté. Un film intimiste qui se joue davantage dans les yeux d’un homme en permanence « dans la Lune » que dans les locaux de la Nasa ou les fusées. First Man est une lente mélopée. Un regard neuf et mélancolique sur une page cruciale de l’histoire du monde. Un film parfois un peu cynique quant à la signification des premiers pas sur la Lune, Chazelle n’oubliant pas de souligner le coût de l’opération et les sacrifices que la chose exigea en retour. Il rejette toute idée de patriotisme triomphant et trace l’itinéraire d’un homme passionnant, en ne s’intéressant qu’à celles et ceux qui ont eu grâce à ses yeux et qui ont joué un grand rôle dans sa vie. La façon dont le métrage élude certains aspects techniques et réduit certains personnages à de simples intervenants (Aldrin est esquivé jusqu’au dernier moment par exemple) peut s’avérer frustrant. Comme le rythme, lent et le caractère un peu opaque de la démarche. First Man n’est pas aussi efficace et jubilatoire que l’étaient Whiplash et La La Land. Il joue sur l’introspection. Chazelle filme de près les visages, la photo n’a rien de lisse et la musique ne fait pas appel aux fameuses trompettes de la gloire. Il dissèque plutôt la souffrance et les tourments d’un mythe. Pour Chazelle, l’enjeu du couple d’Armstrong (parfaite Claire Foy), exposé à la pire des épreuves est au moins aussi important que les premiers pas sur la Lune. Ces derniers illustrant presque métaphoriquement la quête sans fin d’une âme en perpétuelle recherche d’elle-même.
En Bref…
First Man risque d’en décevoir plus d’un par sa façon très intimiste et viscérale de parler de l’exploit de Neil Armstrong. Exploit qui est d’ailleurs presque mis au second plan aux profits du combat quotidien d’un homme qui n’a eu de cesse de se chercher lui-même à travers les limbes du deuil, poussé par une motivation presque carnassière. First Man est un film plein de poésie (certains plans sont saisissant de beauté), un peu frustrant mais assurément passionnant, dont certains plans restent ancrés dans l’esprit longtemps après la projection. Assurément l’œuvre d’un cinéaste en pleine possession de son art qui offre ici son éclairage d’une histoire sans cesse fascinante.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Universal Pictures France