Quatrième de couverture :
Chaque été, le juge Eamon Redmond quitte Dublin avec sa femme pour la petite ville de Cush. Là où la mer et le vent semblent avoir le dernier mot, il vient oublier les hommes, et leurs déchirures entre croyances, justice et engagement. Du moins le croit-il. Car si certains souvenirs échappent à la mémoire comme s’effondrent sous la poussée des eaux des pans entiers de la falaise, d’autres résistent à l’érosion. A travers la conscience d’un homme, Colm Toibin explore les vicissitudes du temps, inexorable bâtisseur de destinées.
La vie du juge Redmond peut se résumer en quelques mots: indépendance, principes, engagement mais aussi solitude. Colm Toibin nous raconte la vie de ce juge dont l’enfance de fils unique, orphelin de mère tout à sa naissance, a été marquée par la figure paternelle, celle d’un professeur austère, militant pour l’indépendance irlandaise. Les étés étaient rythmés par les vacances à Cush, au bord de la mer. Les chapitres alternent les étapes de formation de l’enfance et de l’adolescence d’Eamon Redmond et sa vie d’adulte, de juge qui approche la retraite et se souvient. Les correspondances entre le passé et le présent sont fortes : les mêmes baignades estivales, la présence de la famille, la même maladie qui a frappé et frappe le père et l’épouse du juge, la place de la lecture, l’influence de la religion. A l’instar de la falaise qui s’effrite d’année en année, les convictions morales évoluent avec la société irlandaise, marquée par la puissance de l’Eglise. De même, le juge (qui appartient à une génération à qui on n’a jamais appris à parler de ses ressentis) ne trouve pas les clés pour communiquer émotionnellement avec sa femme et ses enfants devenus adultes. Le corset de ses habitudes va se fissurer petit à petit, notamment à l’approche de la mort.
Ce deuxième roman de Colm Toibin prend son temps, ne donne pas de clés explicites sur la personne du juge Redmond, il laisse pour cela une grande place à la nature, à la mer, au sable, au vent qui balaie la côte irlandaise et ses bruyères. Au temps qui creuse intérieurement les fondations d’un homme.
« La plupart des questions soulevées par cette affaire étaient d’ordre moral le droit d’une éthique à prévaloir sur celui d’un individu. Au fond, on lui demandait de juger de quelle manière il convenait de mener sa vie dans une petite ville. Il sourit intérieurement à cette pensée et secoua la tête.
En travaillant à son jugement, il se rendit compte plus que jamais qu’il n’avait pas de fortes convictions morales, qu’il avait cessé de croire à quoi que ce fût. Mais au moment de le rédiger, il veilla à n’en rien laisser paraître. Ce jugement était le seul qu’il pût rendre : il était pertinent, bien argumenté et surtout, il était plausible.
Il retourna à la fenêtre et resta un moment à regarder dehors. Comme il était difficile d’être sûr ! Ce n’était pas seulement cette affaire, et les questions qu’elle soulevait à propos de la société et de la morale, c’était le monde dans lequel ces choses se produisaient qui le mettait mal à l’aise, un monde dans lequel des valeurs opposées vivaient si près les unes des autres. Lesquelles pouvaient à juste titre prétendre à être défendues ? » (p. 107)
Colm TOIBIN, La bruyère incendiée, traduit de l’anglais par Anna Gibson, 10/18, 2005 (Flammmarion, 1996)
Balade irlandaise – 3