L'événement aurait pu avoir lieu parmi les étals mais c'est la confortable librairie qui accueillit les fidèles du marché. En toute légitimité puisque elle est ouverte le dimanche matin à cause du marché et que les murs exposaient de nombreux clichés que Milomir Kovacevic a réalisés pour accompagner l'ouvrage.
On le voit, à gauche, sur la photo, à coté de l'éditrice Marie Taillan qui récidive en quelque sorte sur ce thème puisque c'est elle qui avait eu l'idée de faire un ouvrage sur le marché de Sète et qui a été publié l'année dernière également par les Editions Dans la boîte.
Préfacé par
Jean Rolin et agrémenté de dessins de Topolino, il témoignait de la vitalité des halles sétoines, fraîchement rénovées, et offrait une tribune à chaque commerçant pour donner un secret de cuisine, une recette familiale, sucrée, salée, ultra simple ou très compliquée …Marie aime la cuisine autant que les confidences. Ayant vécu dans le 3ème arrondissement, l'endroit lui est familier et ce second opus inaugure peut-être ce qui va devenir une série autour de l'idée de renforcer les liens qui existent entre les commerçants et leur clientèle, de promouvoir les produits frais, de qualité, de proximité, d'échanger autour d’une recette de cuisine et de transmettre aux jeunes générations ce qui ne doit surtout pas rester secret.
Pour concrétiser le projet il a fallu trouver un philosophe pour écrire la préface et ce fut Charles Pépin, et un photographe. Tous les avis ont convergé sur le nom de Milomir Kovacevic, dit Strasni dont l'oeuvre Sarajevo dans le coeur de Paris a marqué les esprits.
S'il est originaire de Sarajevo, qu'il est arrivé en France il y a douze ans, et qu'il habite Créteil, Milomir semble être du quartier depuis toutes ces années qu'il en arpente le moindre recoin. Il était sans nul doute le mieux placé pour saisir l'instant qui témoigne de la personnalité de chacun des commerçants qu'il a le plus souvent rencontré sur rendez-vous. Si certains clichés sont pris sur le vif, pour traduire l'atmosphère des lieux, les portraits sont posées, et le recours à l'argentique et au noir et blanc, toujours en lumière naturelle, leur confère une intemporalité étonnante à une époque où l'on "instagramme" tout et n'importe quoi à chaque instant.
Des tirages en grand format ont été accrochés dans la librairie fondée en 2001 par Karine Henry, qui participe aussi à l'aventure en donnant (p. 58) les recettes familiales de la tarte à la moutarde de sa mère et du punch de son père.
On trouve de grands classiques comme la tarte au chocolat de Jean-Paul Hévin (p. 54), dont la boutique donne sur le marché, ou les gougères (p. 124) de Nicolas Jouannault, le fromager MOF qui jouxte l'entrée principale de la rue de Bretagne. Mais encore de nombreux plats qui évoquent l'exotisme car une des spécificités de l'endroit est d'être très bigarré et s'y rendre est un passeport pour visiter le monde entier.
Je retiens le conseil des "Italiens du marché" d'associer des champignons de paris à quelques grammes de brisure de truffe dans un plat de pâtes (p. 88). Ou encore celui de la poissonnière Christine de faire preuve d'originalité en taillant un haddock en carpaccio (p. 106). La salade du Bangladesh de la fleuriste Mita (p. 118) est une promesse de saveurs.
Le marché des Enfants-Rouges est le plus vieux marche-couvert de Paris. Fondé par Louis XIII en 1615, il doit son nom à la proximité de l'hospice des Enfants-Rouges (1524-1777) créé par Marguerite de Navarre pour des orphelins dont l'uniforme rouge égayait les allées du marché lorsqu'ils venaient y jouer comme dans une cour de récréation.
L'endroit fut célèbre pour ses marchandes de peaux de lapin et jusqu'en 1914 pour la qualité du lait qu'on y vendait, fourni par une douzaine de vaches nourries par les restes du marché.
Il a failli disparaitre en 1994 pour devenir un parking. C'est la détermination des habitants et des commerçants du quartier, aidés par des personnalités comme le cinéaste Bertrand Tavernier, qui ont permis son sauvetage ... et dans la foulée sa rénovation. Il rouvre en 2000 en redevenant un lieu d'échanges et de convivialité, où l'on croise aussi bien des producteurs régionaux que des traiteurs venus des quatre coins du monde, témoignant du bon accord entre la tradition et la curiosité.
Le livre alterne les portraits des commerçants avec des images pittoresques et des vues des lieux emblématiques du quartier, comme la seconde entrée, au 38 de la rue Charlot. On trouvera aussi les planches-contact de gestes techniques comme la découpe d'un poisson ou l'égrenage du couscous.Nicole Bismuth le Core, adjoint au maire a promis que plutôt que d'offrir à chaque mariage un livre sur les rues de l'arrondissement ce sera désormais avec Le marché des Enfants-Rouges que les mariés repartiront. Le directeur de l'agence immobilière des Enfants Rouges, qui a soutenu le projet, a salué lui aussi le travail du photographe.
Le marché des Enfants-Rouges, Photographies de Milomir Kovacevic, Préface de Charles Pépin, Avant-Propos de François Simon, Isabel Marant et Jérôme Dreyfuss, paru aux Editions Dans la boîte, en librairie depuis le 22 septembre 2018