De 2004 à 2010 Pierre Ménard a diffusé sur un site, au rythme hebdomadaire, des exercices d’écriture s’appuyant chacun sur un texte d’auteur de la littérature contemporaine. Ledit site (Marelle : Zone d’activité) n’existe plus, mais les exercices restent disponibles en ligne sur le site de l’auteur : liminaire.fr.
La publication en version papier rassemble en une page la proposition d’écriture, la présentation du texte d’appui et un extrait ; cette publication donne la mesure du travail important qui a été accompli. 365 propositions et 365 textes présentés, ainsi que, par conséquence, 365 écrivains (pas tout à fait, car il y a quelques doublons, mais peu). Cette somme de travail impressionne en ce qu’elle regroupe différentes catégories littéraires. C’est en effet tout autant une anthologie de la littérature contemporaine (les extraits d’œuvres), qu’un manuel technique de littérature (les propositions d’écriture), et un traité de littérature contemporaine (nombreuses réflexions sur l’écriture d’aujourd’hui), en conséquence de quoi, cela peut se lire d’une traite, ou par fragments, dans l’ordre numéroté aussi bien que dans le désordre, il y a liberté grande de lecture.
Majoritairement, l’auteur s’intéresse aux expérimentations langagières, aux inventeurs de formes ou innovateurs, à ce qu’on pourrait appeler les auteurs de fabricatures, ou de systèmes, ou de procédés, en conséquence de quoi, le livre devient également un livre de poétique contemporaine, un relevé non exhaustif des formes en usage aujourd’hui. Pierre Ménard souligne ainsi combien la littérature française peut être d’une inventivité extraordinaire, mais d’une inventivité souvent reléguée dans les marges, où perspicace et curieux, il va puiser, et ce, énormément chez les poètes ou chez des auteurs dits inclassables (souvent catégorisés en poésie d’ailleurs). On peut relever que la grande majorité des propositions d’écriture est issue d’œuvres de poésie, ou considérées telles ; Pierre Ménard écrivant que (à propos du Flip-Book de Jérôme Game1) : « La richesse de la poésie contemporaine, c’est cette faculté à assimiler d’autres langages, pour créer une forme de pensée en mouvement », et c’est très juste. Assez peu de romanciers conventionnels ou de rentrée littéraire, quelques dramaturges mais peu, et surtout beaucoup d’œuvres difficiles, complexes, et c’est le mérite de l’ouvrage qui apporte également des pistes de lecture, ne cède pas à la paresse, démontrant, et c’est le principe de l’atelier, qu’écrire est un travail de recherche, démontrant que l’écriture est également une affaire de technique, de procédé, d’ingénierie, n’en déplaise aux inspirés, et que lire, de même, est un acte exigeant. Ce livre est aussi un guide de lecture, une méthode assimil de la littérature contemporaine.
Pierre Ménard revient souvent sur le fait qu’un texte est aussi un objet, parfois visuel, c’est pourquoi de nombreux ready made d’écriture sont proposés. La technique du montage (pas seulement le cut up) est souvent mise en avant, dans ses variantes de même.
Mais Pierre Ménard observe large, très large, et la technique n’est pas la seule source d’écriture explorée. On navigue de Denis Roche à Yves Bonnefoy ou d’Eric Sautou à Philippe Beck, de Jean Echenoz à Pierre Guyotat, ou de Julien Gracq à Olivier Cadiot, le panel est vaste, et tout à chacun peut y trouver son content.
Voilà le livre d’un grand lecteur, d’un lecteur passionné, qui au-delà des propositions d’écriture, transmet son goût immodéré pour la littérature qui se fabrique maintenant, et parfois souvent dans l’ombre ; livre qu’on lit avec crayon à la main, non forcément pour appliquer des consignes d’écriture, mais pour noter des références de livres.
Jean-Pascal Dubost
1 Jérôme Game, Flip-Book, éditions de l’Attente, 2008.
Pierre Ménard, Comment écrire au quotidien, 365 ateliers d’écriture, publie.net, 456 p., 24€
Sur le site de l’éditeur (avec une vidéo de présentation)