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Ploy, jeune femme evanescente

Par Julien Peltier


Ploy
Papillon de lumière…

Trois inconnus enfermés dans une chambre d'hôtel. Un léger soupçon dégénère en jalousie, quand l'apparition d'une jeune femme provoque des conséquences dévastatrices pour un couple marié.

Evanescent. Ce mot, empreint de mystère et d’une certaine lumière, résume avec brio l’impression que le spectateur peut ressentir, après visionnage du dernier long métrage de Pen-ek Ratanaruang. Car, à l’évidence, le réalisateur de Vagues Invisibles a été inspiré. Retour sur une œuvre subtile, fragile et sensuelle.
Bien que la mise en scène, volontairement lente et mutique, nous plonge immédiatement dans un climat sensuel, alangui et presque décadent, Ploy n’est pas le nom donné à une nouvelle gamme de sextoy branché. La jeune femme qui porte ce doux prénom est un papillon perdu, accoudé au bar d’un hôtel de Bangkok. Elle traîne une dégaine d’adolescente frêle et fragile. Un roseau nature et frais, au milieu d’une ville épuisée. La nuit semble brûlante, comme la lueur qui brûle au fond de ses yeux, la seule parcelle indicible de vérité dans ce corps de fillette délurée. Et c’est ce regard mi-chatte mi-fleur que Wit croise. L’homme d’affaire fatigué vient de se poser dans ce bar vide, contrarié semble-t-il par le comportement de sa femme, restée à l’hôtel. Perdu, il cherche à briser les codes conventionnels qui l’auraient contraint à rester auprès de son épouse. Il préfère proposer une cigarette à la seule cliente présente, puis inviter cette dernière au bar, près de lui. Les deux personnages développent alors une intimité presque dérangeante. La position de Ploy, assise sur un tabouret haut comme si elle était sur son canapé, dénote du pouvoir puissant que la jeune femme possède sur Wit. Elle lui propose d’écouter de la musique, il lui propose de monter dans sa chambre d’hôtel.
Ce début de relation, cette prise de contact est peut-être la partie la plus lente du film. Tel un chapitre de livre, cette partie introductive assoit les personnages principaux dans un jeu sensuel et intimiste extrêmement fort, d’une douceur et d’une contemplation incroyable. Une poésie est née et croît à la manière du roseau Ploy, qui se déplie lentement, sereinement.

Article : Ploy

Le climat du film change immédiatement avec l’arrivée de Ploy à l’appartement. Une certaine logique « sociale » reprend le dessus, puisque Dang, la femme de Wit réagit négativement à l’arrivée de Ploy. Cette intrusion lui déplaît profondément, et le comportement de son mari la choque. Malgré sa colère, elle accepte malgré tout cette rencontre, au point de laisser Ploy prendre une douche.
La présence de la jeune femme réveille cependant les démons enfouis du couple. Dang, jalouse, se met à rêver de meurtre, tandis que Wit, agacé par les soupçons sans fondement de sa femme, la laisse volontairement dans le doute en jouant la carte de l’indifférence. Et tandis que l’épouse préfère quitter la chambre, Wit et Ploy se retrouvent dans des discussions douces-amères et des songes vaporeux…
Article : Ploy

Parallèlement, sans aucun lien direct avec la scène précédente, un jeune couple se retrouve lui aussi. L’ambiance n’est cependant pas la même, puisque leur présence secrète se résume à des « jeux interdits ». Rien à voir avec la relation Dang-Wit-Ploy. Ici, le genre érotique a pris le pas sur la mise en scène précédente, plus contemplative. L’absence de parole, l’intérêt uniquement sexuel de ces scènes qui ponctuent des retours rapides au couple Wit-Ploy, poussent le spectateur à conclure au pur fantasme. Et si ces deux jeunes gens remplis de désir, n’étaient qu’une projection de l’esprit de Ploy ?
Le climat du troisième chapitre change encore : cette fois, le réalisateur se penche sur le cas Dang. Le ton est désormais résolument agressif puisque l’histoire dégénère quand la jeune femme subit une tentative de viol. Du coup, l’impression d’obscur-clarté laissée par les deux premiers chapitres s’évapore. Et cette dernière et triste partie semble de trop. Elle parasite la pellicule tendre de Ratanaruang. Et nous renvoie de plein fouet l’intérêt quelque peu absent du long métrage. Quel est le message ? Un nouvel avis bien simpliste sur les relations de couple ? Un point de vue novateur sur la subtilité des mélanges réalité-fantasme ? Ou juste la contemplation d’un couple à la passion révolue et à l’amour-union inaltérable ? Car la relation ambiguë entre Wit et Ploy, et l’aventure sordide de Dang ne sont que des éléments ponctuels, sur la voie toute tracée de la routine quotidienne.
Article : Ploy

Malgré ce questionnement amer, Ploy est un film absolument remarquable. Il laisse sur celui qui le visionne une empreinte forte, mélange subtil des sens. Car Pen-ek Ratanaruang est avant tout un peintre à la palette riche en sensations toutes plus agréables, mystérieuses et graphiques. Les errances nocturnes des deux principaux protagonistes se poursuivent avec le jour, laissant une trace visuelle, jeu paradoxal entre clair et obscur, entre flou du second plan et fixité du premier. Le réalisateur taquine nos sens, rivalisant d’ambiguïtés, entre sensualité, fantasme et démons cachés. L’artiste nous envoûte, érotise chaque instant, exacerbe nos pulsions à travers des images extrêmement douces pourtant. Malgré un décor simple, et froid, tout en angles (la fameuse fenêtre de l’affiche) Ratanaruang instille une puissance sexuelle extraordinaire, une torpeur presque torride, un mystère hypnotisant.
Ploy est un trip, un voyage sensitif et sensuel où les rapports humains deviennent un langage langoureux. Le contemplatif se mue en intimisme, la maîtrise technique du sujet s’efface pour laisser la place à un cadre duel, entre onirisme/fantasme et réalité/violence. Ploy est un bout de pellicule rigide, que le spectateur apprend à regarder et voit se transformer, à l’instar de sa jeune et éblouissante interprète, en un papillon de lumière.
Merci à Wild Side Vidéo.
Noah
Ploy
Film thaïlandais.
Réalisé par Pen-ek Ratanaruang
Avec Lalita Panyopas, Pornwut Sarasin, Apinya Sakuljaroensuk
Genre : Drame, Erotique
Durée : 1h 47min.
Année de production : 2007
Distribué par Le Pacte


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