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Fatimata Diallo Ba : Des cris sous la peau

Par Gangoueus @lareus

Des cris sous la peau est un miroir de la société Sénégalaise en particulier etafricaine en généralFatimata Diallo Ba : Des cris sous la peau
Fatimata Diallo y dresse un tableau de la société dans lequel le réquisitoire au goût de fiel n’épargne aucune tare observée dans notre quotidien.
Le cris de l'héroïnene peuvent être que l’écho de mille cris de femmespercluses de douleurs. De cette orpheline que les irréversibles forces du destin ont arraché à sa mère, la laissant seule buter sur les aspérités. Mais c'est cequi la fera grandir: "Ce qui ne tue pas, rend fort".Par une création romanesque originale, une écriture limpide, une narration attachante et des techniques littéraires ésotériques, Fatimata a su confirmer le nom que lui donne Mame Coumba Ndiaye, fille de Mariama Bâ ,"une tisseuse de mots".Une vraie magie du verbe, mais surtout une originalité qui séduit promptementle lecteur. Dans le choix des personnages, Fatimata semble rendre hommageà ses cousins sérères, à traversla famille du Poète Président Senghor (Gnilaan, Diogoye, Yandé), une transmutation du réel. Elle ne s'arrête pas là. Avec une thaumaturgie narrative,elle promène le lecteur dans la sphère insulaire au cœurdu Saloum, dans le pays des " Niominkas" où commence le récit. Du Saloum à Dakar, de la France au Mali, à Tambacounda dans le "Wassoulou" en passant par les quartiers périphériques de Keur Massar, Yoff, Grand Yoff, l'auteure nous dévoile le quotidien d'une société autour de thèmes tels que : La maltraitance des orphelins, la mort, les grossesses non désirées, l'exode rural, la foi, les gaspillages lors des cérémonies familiales, les violences conjugales, la phallocratie, la délinquance, bref lesmaux handicapants de la société. Mais Il faudra que le lecteur soit averti et habitué aux analepses pour savoir que l'histoire commence au Saloum, puis va à Dakar après un détour par la France pour revenir enfin à Dakar.Il faudra parcourir le roman jusqu'à la cent onzième page pour découvrir le nom du personnage principal, Yandé.Née d'uncouple hors mariage, orpheline de mère à sa naissance, Yandé sera éduquée par sa tante Ndiémé. Elle subit l'enfer très tôt et cela va perdurer, sa tante la maltraite, le mari de sa tante l'abuse sexuellement. Partie en France où elle pensait sortir de ses lacérations, elle est victime des violences conjugales. Yandé comme une Chrysalide malgré ses 45 ans d'existence doit sortir de ce cocon infernal, cette vie affligée, où souffrances et vexationsl'empêchent de devenir papillon. Selon Fatimata, pour grandir, il ne suffit pas d'avoir 40 ou 50 ans, mais surmonter les obstacles. Grandir, c'est résister, se surpasser. Yandé revient dans son pays natal, le Sénégal pour assister à la cérémonie de "Nganalé" de sa Tante. Commedans un film, de terriblesépisodes défilent dans la tête, rouvrent ses plaies intimes, mais elle doit les supporter pour les cicatriser et guérir.Accueillie par sa cousine Arame, qui, elle aussi a vécu la traversée du désert, séropositive, maltraitée par ses parents, elle essaie de trouver refuge dans la drogue. Mariée ensuite à un homme séropositif, Arameaffronte difficilement les coactions de la vie dans une banlieue dakaroise, Keur Massar. Selon Beatrice Barnier-Barber, une collègue de l'auteure : "Lorsque l’on plonge dans le monde littéraire de Fatimata, on effectue un voyage intemporel en terre africaine. On retrouve les effluves et les couleurs, la vie et l’effervescence, cette énergie si particulière, ressentie nulle part ailleurs".Yandé,aidée par sa cousine découvre les réalités de son monde,les beautés de l'Afrique, le sens de la solidarité, l'importance de la foi, mais aussi les maux de sa société sénégalaise.La thérapie par le massage traditionnel de la vieille Saran la soulage et soigne son corps meurtri depuis l'enfance. La religion qu'elle a longtemps ignorée n'est pas dans ce roman "l'opium du peuple", mais un remèdecontre sa souffrance. Le choix des personnages dont les noms renvoient à une ethnie du Sénégal, lesérère n'est pas gratuit car dans cette ethnie, on donne une certaine considérationaux morts. Selon la tradition ancestrale, les morts cohabitent avec les vivants et choisissent la nuit pour leur rendre visite, entrenten discussion avec eux. C'est le cas pour l'héroïne du roman,Yandé qui entre en confessionsnocturnes avec sa maman décédée. Ce qui va l'aider à sortir de son calvaire, à vaincre sa peur, à panser ses blessures, à "ne pas mourir avant d'avoir vécu".Ce que nous n'avons pas chez les vivants, nous pouvons l'avoir chez les morts, c'est ce que semble dire l'auteure .A la fin du roman lors du "Nganalé", Yandé, commeune bête traquée par des chasseurs impitoyables crée un scandale devant une foule venue de partout. Elle commence par le mari de sa tante sur qui elle verse une carafe de bissap, et enchaîne par une longue diatribe, lui rappelant ses méfaits, son inhumanité. Elle atteint ensuite sa deuxième cible, sa tante qu'elle réduit enpoussière en dévoilant à quel point elle est une destructrice d'âme. Fatimata Diallo Ba : Des cris sous la peauAprès le procès de ses bourreaux, elle quitte la maison et change de biotope, direction la France, délestée du poids qui l'empêchait de déployer ses ailes. Elle a su dompter une peur qui l'a longtemps habitée. Plus rien ne pourra l'ébranler. Elle a vécu ,elle a su et elle a enfin grandi.Un article de Cheikh Bamba Sene Ahmada
pour le blog Chez GangoueusFatimata Diallo Ba, Des cris sous la peauPresses panafricaines, 2018, 146 pages

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