= INTERVIEW =
Tobie Nathan présente « L’Évangile selon Youri » à la Galerne, au Havre
mercredi 14 novembre 2018.
Tobie Nathan présentera son nouveau roman, L’Evangile selon Youri, à La Galerne, le 17 novembre 2018. (©Philippe Matsas.)Mercredi 14 novembre 2018, à 18h, la Galerne, au Havre (Seine-Maritime), reçoit l’ethnopsychiatre et professeur en psychologie, Tobie Nathan, pour son nouveau roman paru chez Stock : L’Évangile selon Youri. Entretien avec l’auteur.
L’histoire de L’Évangile selon Youri :
Élie : vieillissant, désabusé, divorcé, désencombré des illusions sur la vie. Voici comment on pourrait décrire ce psy aux méthodes particulières qui dirigea longtemps un centre d’ethnopsychiatrie au coeur de Paris. C’est un spécialiste en « étrangeté ». Un petit migrant roumain, aux cheveux hirsutes et aux yeux immenses de clarté, va dérouter Élie, autant que ses compagnons du quotidien, le fripier Samuel tenant boutique boulevard Arago, Le-Poète jamais avare d’une récitation, ou Le-Professeur et ses problèmes cardiaques. Oui, un garçon de dix ans, silencieux et intense. Est-ce lui qui déplace les tables à distance, fait exploser les pierres précieuses des colliers ou guérit les maladies les plus réfractaires d’un doigt posé sur la plaie ? Sorcier ou « immigré nouvelle génération » ? Imposteur ou messie de nos temps troublés ? Il faut prendre garde aux étrangers que nous croisons : parmi eux se cachent des êtres d’exception.
« J’ai voulu explorer l’âme de mes contemporains »
76actu : Présentant votre roman, L’Évangile selon Youri, vous parlez d’un roman « véridique ». Pouvez-vous préciser cette notion ? Pourquoi vous êtes-vous tourné vers le roman et non vers l’essai pour explorer cette vérité ?
Tobie Nathan : On présente de plus en plus de publications comme « tirées d’une histoire vraie ». On veut sans doute dire « conformes aux faits objectifs ». Ce n’est pas cette vérité que j’ai voulu atteindre, mais celle des tensions, des espoirs, des promesses non tenues… J’ai voulu explorer l’âme de mes contemporains à qui l’on propose un monde sans profondeur, sans idéal, un monde qui n’a pour seul projet que de se survivre. C’est en ce sens, car il décrit la révolte contre un ordre aussi oppressant qu’invisible, que mon roman est « véridique », c’est-à-dire « conforme à ce qu’on éprouve ».
Le conteur est un psy… Est-ce une forme de double de l’auteur, de vous ?
Votre question pourrait paraître convenue. En vérité, elle ne l’est pas car j’ai volontairement choisi un personnage que l’on prendra dans les premières pages pour un double de l’auteur. Ainsi, le lecteur entre-t-il en confiance, pensant avoir affaire à une forme d’autobiographie. Alors qu’il se pense en terrain connu, le voile commence à se déchirer et surgit l’inattendu. La familiarité initiale pour préparer la surprise.
Un jeu de miroirs
Roman, conte fantastique ou prophétie… comment qualifier votre récit qui narre l’arrivée d’un nouveau Messie ?
C’est assurément un roman, qui emprunte les personnages et les situations au monde commun, celui dans lequel nous vivons. Et c’est dans ce monde réel, banal, quotidien que surviennent des événements qui contraignent le lecteur à renoncer à une lecture immédiate. Je m’attends à ce que l’on sorte de ce récit qui, je l’espère, reste toujours plaisant, avec des questions, rien que des questions… du type : « mais ce n’est pas possible ! » C’est un peu ce qui vous est arrivé, il me semble…
Qui sont Youri et Élie ? Quels sont les enjeux de leur rencontre ? Comment avez-vous construit ces deux personnages complémentaires ?
Élie est un vieux psy qui a eu son heure de gloire et qui, vieillissant, songe sérieusement à se retirer, d’autant que dans le centre d’ethnopsychiatrie qu’il a fondé, de plus jeunes font désormais le travail. Lui-même est un émigré, arrivé en France à l’âge de neuf ans, ayant connu les hôtels sordides et les cités de transit. C’est sans doute pour cette raison qu’il s’est toujours occupé des migrants.
Un tel homme ne pouvait qu’être touché par la détresse de Youri, cet enfant roumain, récemment débarqué, qui passe ses journées à mendier sur les trottoirs de Paris. C’est à cet endroit, dans ce jeu de miroirs, que se noue entre eux une relation d’intérêt inquiet. Youri est attiré par ce psy qui ne craint ni l’étranger ni l’étrange et Élie ressent une sympathie viscérale pour celui en qui il se voit lui-même enfant.
Un dieu au visage d’enfant
Votre roman est un roman géographique qui révèle certes les personnages, mais réveille les esprits endormis de Paris. Le surnaturel est-il une forme de croyance pour vous ?
C’est un roman géographique dans le sens où il explore certaines rues de Paris. Comme toutes les villes ayant un long passé, sous la surface, sous le goudron des chaussées, sous les fondations des immeubles, coulent des rivières oubliées. Sous les religions d’aujourd’hui, bruissent les dieux anciens, refoulés. Et sous les églises, grondent les sources, les fontaines que le peuple a très longtemps adorées. Je me suis attaché à l’une de ces rivières, la Bièvre, qui a été recouverte par le baron Hausman. Et si ces vieux courants se réveillaient… Et si les sources se remettaient à surgir… Et si les humains se mettaient à nouveau à espérer…
Quel visage pourrait avoir un nouveau dieu dans notre société contemporaine ? Celui de Youri ?
Je ne sais quel visage pourrait avoir un nouveau dieu… Les dieux cachent si souvent leur visage. Mais je reste persuadé qu’il s’agira d’un enfant. Notre monde, après avoir gommé les différences entre homme et femme entreprendra de faire disparaître celles entre adulte et enfant. Bientôt les enfants jouiront des mêmes droits que les adultes, siégeront au Parlement, seront représentés par des avocats… Dans ce monde en train d’advenir, il me semble évident que s’il apparaissait un dieu, ce serait un enfant.
Infos pratiques :
Mercredi 14 novembre 2018, à 18h, au Café de la Galerne, 148 rue Victor-Hugo, au Havre.
Entrée libre.
L’Évangile selon Youri, éditions Stock. Prix : 19,50 euros.