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Suspiria (2018), Luca Guadagnino

Par Losttheater
Suspiria réalisé par Luca Guadagnino

Luca Guadagnino signe avec cette relecture de Suspiria (le chef-d’œuvre de Dario Argento), le détour le plus surprenant et choc de l’année. En effet, la sortie de Suspiria intervient à peine dix mois après celle de Call Me By Your Name en France. Terminé le soleil d’Italie et les émois amoureux de l’adolescence, place au gore et à la folie. Le demi-tour est radical, et Guadagnino d’en rajouter car son Suspiria n’a finalement pas grand-chose à voir avec le film original. Le sens du mot remake, le réalisateur semble l’avoir complètement saisi. Ici, il n’est pas question d’un simple copier/coller ou d’un exercice de style, non il s’agit plutôt d’une réinterprétation très personnelle du film d’Argento. L’histoire ne se passe plus à Fribourg, mais dans une école de danse près du mur de Berlin à la fin des années 70. Les bâtisses sont grandes, imposantes et grises, loin du baroque coloré qui faisait l’essence du film original. Même le mystère sur la sorcellerie qui règne au sein de l’école n’a plus raison d’être, Guadagnino faisant le choix de le dévoiler dès les premiers instants de son histoire. Tous ces choix créent un objet inédit, une proposition unique dans le paysage du cinéma horrifique moderne.

C’est donc en deux heures et trente minutes d’ambition que le réalisateur nous balade d’idées en idées, plus folles les unes que les autres mais aussi plus ou moins inégales. C’est dans sa mise en scène que ce Suspiria version 2018 nous emballe le plus. Sinistre et froide, elle immisce le spectateur dans l’ambiance dès les premiers instants. Totalement focalisé sur l’aspect danse de son histoire, la caméra semble caresser les corps pour mieux nous choquer lorsqu’ils sont mis à rude épreuve (le premier meurtre en crispera plus d’un). Le parti pris semble donc lorgner du côté du body-horror où le son (soupir, craquement,…) épouse à la perfection l’imagerie brutale de certaines scènes chocs (têtes explosées, membres déchirés,…). La nature de l’horreur se cache donc dans la viscéralité de son propos. Même la construction des plans se retrouve comme possédée par cette sorcellerie, les angles sont tantôt improbables, tantôt hypnotisants. Les zooms sont furtifs, rapides et inattendus. Les miroirs sont aussi une constante source de malaise et créent une distorsion des corps à l’écran. A travers ses choix stylistiques, Guadagnino nous convoque à un grand bal de l’horreur où la danse est motrice des corps et de leur destruction. En parallèle, c’est son écriture qui nous empêche par moment de nous sentir pleinement impliqué dans son histoire. A fort caractère historique, politique et même féministe, Suspiria ne sait plus vraiment sur quel terrain nous emmener. Au bout de deux heures, on ressentirait presque une forme de dégoût pour toutes ces questions. Cependant, quitte à perdre son spectateur une bonne fois pour toute, le réalisateur ne s’empêche pourtant pas de naviguer entre le grand guignol et le sérieux à la limite de la prétention. Alors qu’Argento optait pour une histoire linéaire et simpliste au possible, Guadagnino enfonce le clou jusqu’à un grand final où les explications nous perdent autant que les questions. On soulignera tout de même la force du réalisateur à nous mener dans des terrains inexplorés où tout semble complètement fou mais imbibé d’une tristesse infinie. Suspiria n’enlève donc pas à Hérédité d’Ari Aster son titre de meilleur film d’horreur de l’année, ni même à Call Me By Your Name celui de meilleur film tout court, mais aura au moins le mérite de marquer par ses intentions et son ambition disproportionnée.

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