J'étais allée en Belgique à l’occasion du coup d’envoi de la Biennale de Mons 2018-2019, capitale culturelle et dans le cadre du Grand Final du Grand Huit, et particulièrement pour voir la superbe et passionnante exposition d'oeuvres de Niki de Saint Phalle qui, elle se poursuit encore jusqu'à mi-janvier 2019.
Je vous la recommande fortement. Vous marcherez sans doute alors dans la ville, et dans les pas de l'inspecteur Jaunes, imaginé par Jan Bucquoy (scénariste, mais aussi romancier, réalisateur et artiste belge) et immortalisé par Tito (dessinateur français, auteur des séries Soledad et Tendre Banlieue)qui lui a donné vie.
C'est un anti héros par excellence car il a essuyé deux échecs cuisants,
les Tueries du Brabant et l’affaire Dutroux.À travers 7 albums, publiés entre 1980 et 1989, Daniel Jaunes avait mené des enquêtes dans des villes comme Gand, Bruxelles ou Dinant. L'inspecteur revient sur le devant de la scène après 30 ans d’absence, pour reprendr du service… dans la cité du Doudou (Mons abrite un musée surprenant dédié aux doudous). C'est Hervé Algrainqui est à l’origine de ce retour, et qui a souhaité mettre en avant les "histoires sombres" de la ville, comme des procès de sorcellerie ou l’affaire du Dépeceur de Mons.
"Les villes mettent en avant leurs aspects positifs, j’ai juste fait l’inverse", explique-t-il. "J’ai toujours considéré que les histoires sombres, qui constituent l’essentiel de la tradition orale, étaient celles qui ont le plus de profondeur et de résonance dans notre culture. Mons est un point de connexion d’histoires sombres sur plusieurs siècles."
Ce passionné de "culture bis et alternative" est éditeur du projet. Il n'a pas hésité à créer sa maison d’édition pour l’occasion en lui donnant le nom très évocateur de Désastre immobile. Il s'est attelé à convaincre Jan Bucquoy et Tito à reprendre du service en plaçant leur inspecteur à Mons, un an avant sa retraite, en 1997, en pleine affaire du "Dépeceur de Mons".
Il leur a bien entendu fourni un dossier volumineux sur Mons, pour que Jan puisse construire un scénario dont la lecture puisse s'effectuer indépendamment des épisodes précédents. Tito s'est rendu régulièrement dans la ville pour s'imprégner de l'atmosphère et faire toutes ses planches d'après nature. Chacune est originale et correspond à un angle qu'il a lui-même observé et retenu. personne n'avait dessiné la Grand-Place, le beffroi ou la collégiale comme il l'a fait.
C'est ainsi que s'est concrétisé Une année en Enfer, sous forme de roman graphique d'environ 110 pages, dont 70 de texte écrit par Jan Bucquoy et 40 d’illustrations de Tito, avec une préface de Jean-Pierre Dionnet.
L'aventure va au-delà du livre avec une création originale et inédite : une exposition faite sur mesure pour la ville sur ses histoires les plus sombres, scénographiée par le collectif KRAFT. Les visiteurs évolueront progressivement et par aller-retour de la réalité à la fiction sans qu’ils puissent percevoir de transitions claires. Le principe était que chacun puisse se forger son opinion sans lui révéler la fin du livre.
Cet événement, qui s'est déroulé à la "Maison Folie"du 11 au 29 septembre 2018, a fait partie intégrante du Grand Final ponctuant la 2e édition du Grand Huit tout en lançant la Biennale 2018-19 à Mons. celle-ci est la première mais elle promet de devenir récurrente.
L'expérience d'une scénographie immersive :On entre dans l'exposition comme on visiterait un musée mais tous nos sens seront sollicités entre réel et fiction.Plusieurs planches sont reproduites en forma démesuré et les pavés qui sont au sol contribuent à entretenir l'illusion que nous sommes dans la ville.
Le flic dépressif et mélancolique semble avoir quitté son bureau depuis peu de temps. Le visiteur pouvait s'asseoir à sa place, consulter son ordinateur et ses dossiers.
On lui dit qu'il est sur les traces d'un personnage (fictif) de BD mais l'illusion est si parfaite qu'on se prend au jeu.
Alors on ouvre les tiroirs. Si on n'a pas encore lu le livre on s'étonne de trouver un minibus blanc.
On détache les reproductions des lieux sur lesquels Daniel Jaunes a enquêté. On va suivre ses aventures en allant du présent au passé, en frôlant aussi le fantastique.
On prend place dans un fauteuil, se doutant qu'il appartient à l'histoire dont on suit les épisodes sur les murs. Les cérémonies druidiques au Mont Panisel, l’affaire des Tueries du Brabant, le Dépeceur de Mons, les procès en sorcellerie et les mises à mort sur le bûcher sont des faits que l'on découvre à mesure.
Et puis on pousse un peu au hasard la porte dissimulée dans la bibliothèque.
Le téléphone sonne. On décroche pour suivre le conseil qui nous est donné.
On progresse dans le scénario qui ne nous épargne rien, et surtout pas une morbide scène dans un cimetière en pleine nuit.
On choisit sur le juke-box le disque qui nous plait le plus parmi toutes les musiques qui constituent la play-liste du livre et qui y figurent toutes.
L'expérience est insolite et mérite d'être vécue. Il faut espérer que l'exposition voyagera. A signaler par ailleurs que les anciens albums de Daniel Jaunes devraient être réédités prochainement.Une année en enferDu 11 au 29 septembre 2018À la Maison Folie8, Rue des Arbalestriers, 7000 Mons, BelgiqueDu mardi au dimancheEntrée libre
Une année en enfer, de Bucquoy et Tito, préface de jean-Pierre Dionnet, publié au Désastre Immobile en septembre 2018.
Mons est une ville moyenne de 100 000 habitants où il émane une certaine bonhommie, beaucoup d'énergie et une chaleur humaine d'une grande force. Ce n'est pas pour autant une ville "facile". Outre les heures sombres que Hervé Algrain a choisi de ne surtout pas occulter il y a d'autres souvenirs malheureux comme le séjour de Verlaine dans sa prison.
La tradition artistique y est néanmoins très forte. Van Gogh y fit ses premiers pas sur la voie de l’art, en autodidacte.
La ville subit récemment l'effondrement -pour une raison inconnue-de la partie centrale du Passager quelques jours après son inauguration, sans faire toutefois de victime ni de dégâts matériels importants. Cette impressionnante sculpture à ciel ouvert de l’artiste flamand de 43 ans Arne Quinze était la principale installation urbaine de Mons 2015 et avait couté 400 000 euros. Elle devait rester rue de Nimy pendant 5 ans. L'artiste décida de la restaurer à ses frais en raison de la qualité de l'accueil des habitants pour son art.
Tito n'a pas représenté cette oeuvre dans l'album puisqu'elle n'existait pas en 1997 mais je vous suggère de ne pas la manquer. C'est d'ailleurs devenu un repère dans la ville, au même titre que le Beffroi ou la Grand Place.