Né à Londres en 1936, David Mus vit depuis longtemps en Bourgogne. Traducteur (notamment en anglais du livre d’André du Bouchet, Dans la chaleur vacante), critique (La poétique de François Villon et Le Sonneur de cloches (Villon, Shakespeare, Baudelaire, Mallarmé, Reverdy – et nous autres) il est aussi l’auteur de plusieurs livres de poésie dont le plus récent s’intitule Dehors plutôt qu’ailleurs (Julien Nègre éditeur, 2016).
Dans ce nouvel ouvrage, il propose, en français et en italien (la traduction ayant été assurée par Fabio Ciriachi qui a également rédigé la préface), une vingtaine de poèmes issus de sa longue fréquentation de Rome, ville qu’il a arpentée pendant des années et dont la connaissance s’est donc d’abord faite par les pieds et les yeux, parties du corps qui sont justement présentes dans l’un des premiers textes : « Tout // au centre se tiennent / les pieds, // regard porté vers le ciel / du lieu » Le choix du distique peut lui-même rappeler la marche avec ses deux temps, les vers étant souvent de longueur inégale et d’une brièveté qui suggère un pas vif. En écrivain aussi attentif que le visiteur qu’il fut, David Mus a composé ces « tableaux » qu’il qualifie de « croquis » dans le sous-titre du livre, sans doute parce qu’il procède ici par petites touches où sont subtilement entremêlés l’évocation de nombreux lieux et objets d’art romains (églises, palais, peintures, mosaïques, statues) et de multiples références historiques, artistiques, littéraires et autres, appartenant à toutes les époques.
En effet, loin d’une érudition qui se cantonnerait à l’histoire de l’art, l’observateur tisse des fils, à l’image de celui entre l’élan de la déesse citée dans un poème de Du Bellay (écrivain évidemment inévitable dans ce contexte) et celui du promeneur qui veut « courir comme un fou attraper le tram » pour pouvoir visiter tant qu’il est encore temps l’église officiellement la plus ancienne de Rome. De même, il rapproche l’évacuation du ghetto romain en 1943 « sous le nez du pape Pie XII » du sermon hésitant d’un « prêtre noir venu du Kenya » auquel l’assistance finit par souffler le mot-clef : « VERGOGNA ! » De tels rapprochements se font fréquemment entre des éléments qui appartiennent à des registres a priori éloignés : ainsi deux saints martyrs dont la représentation tremble à cause du creusement d’une station de métro à proximité ou la fameuse statue de Moïse dans une église dont les « liens » deviennent ceux du désir charnel quand le flâneur « reluque les ravissantes / étudiantes // qui s’y pavanent à la place / des moines gris », les deux dimensions étant étroitement liées : « Verbe et esprit, annexes ex- / plicites de // la matière, peine et plaisir égale- / ment comme // des extensions annexes de l’une / et de l’autre // chair »
Enfin, signalons que cette exploration n’est pas dénuée d’humour, comme en témoigne, entre autres exemples, le fait que « Rome » sonne avec « home » ou bien ces réflexions au cours d’obsèques : « le défunt désormais logé au sein / d’Abraham // dans tout le confort du type / salut Club Med // et bon débarras, soupirent en silence // ceux qui attendaient son trépas / impatiemment », l’auteur se montrant aussi lucide sur le destin réservé aux mortels que sur celui de « feue la Ville éternelle ».
Bruno Fern
David Mus, Tableaux romains / Quadri Romani (schizzi), éditions Empirìa, 2018, 96 p., 12 €.