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N’échangez rien, monsieur Schiaretti

Publié le 23 novembre 2018 par Morduedetheatre @_MDT_
N’échangez rien, monsieur Schiaretti

Critique de L’Échange, de Paul Claudel, vu le 15 novembre 2018 au Théâtre des Gémeaux
Avec Francine Bergé, Louise Chevillotte, Robin Renucci, et Marc Zinga, dans une mise en scène de Christian Schiaretti

Je n’ai pas hésité une seconde. La distribution était trop belle : sur les quatre acteurs réunis sur la scène des Gémeaux, trois font partie de mon panthéon personnel, ou presque. Ils sont en tout cas trois noms qui résonnent pour moi avec le mot excellence, et je ne voulais pas rater cette nouvelle occasion de découvrir Claudel. Pour l’instant, mes rencontres avec l’auteur ne s’étaient jamais avérées très fructueuses. Nouer un lien avec lui, retrouver Schiaretti et ses acteurs qu’il connaît bien, et découvrir le Théâtre des Gémeaux par la même occasion : voilà qui promettait une belle soirée. 

La scène s’ouvre sur Louis Laine et sa femme, Marthe. Ils sont seuls, près de la cabane dans laquelle ils ont élu domicile, en Amérique. On sent déjà que malgré leur apparente proximité, quelque chose les sépare en profondeur : alors qu’elle lui semble entièrement dévouée, lui adressant tous ses regards, il est moins avec qu’elle qu’il n’y paraît, aspirant déjà à une liberté qu’il revendiquera tout au long de la pièce. Cette liberté ne tardera pas à entrer en scène, sous la forme de Lechy, ancienne actrice, et de son époux, Thomas Pollock Nageoire. Elle est la Femme dans toute sa splendeur, il est l’optimisme permanent. Et, quelque part, ils semblent lui donner envie.

Pour quelqu’un qui, comme moi, a du mal à se confronter à Claudel, c’est assurément l’une des meilleures mises en scène permettant de l’aborder. Schiaretti, ne s’encombrant d’aucun artifice, ni décor ni vidéo, parvient à créer cette force presque magnétique qui régit les personnages de Claudel. A plusieurs reprises, il impulse de réels accents claudéliens à son spectacle, comme mettant en scène non plus des psychologies mais des allégories. Certaines tirades sont grandioses, et j’ai eu l’impression, soudainement exaltée, de toucher au sublime. Mais cette excellence a des ratés, et, à plusieurs reprises, ce « quelque chose » qu’il était parvenu à créer retombe.

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© Michel Cavalca

La faute d’abord à un texte qu’il aurait fallu couper, notamment dans les parties de Marthe dont les tirades sont peut-être les plus conceptuelles. Mais on imputera également ces longueurs à Louise Chevillotte, encore un peu verte pour le rôle. Il lui manque l’autorité de Marthe, cette supériorité naturelle qu’elle devrait avoir sur Louis et sur l’ensemble des personnages, que tout le monde ressent dans la pièce alors même qu’elle paraît être la plus bafouée. Ce manque-là nuit évidemment au spectacle en lui ôtant cet aspect fondamental : Marthe doit être déjà ailleurs. Or elle est là, trop ancrée dans le sol, encore un peu trop fade.

Dommage, car, en face, le couple de la maturité en jette. Robin Renucci parvient à dégager de son personnage une certaine humanité que je ne lui aurais probablement pas octroyé à la simple lecture du texte. Il est posé, serein, l’air sûr de lui, et son optimisme n’a rien d’outrageant. A ses côtés, Francine Bergé est tout simplement dingue. Toutes ses facettes – l’Actrice, la Femme, l’Épouse, l’Amante – sont à la fois raffinées et brillantes. La scène d’envoûtement qu’elle partage avec Louis Laine est une perfection absolue, son charme enchantant soudainement l’ensemble de la salle. Elle est d’une beauté démoniaque. Son discours sur le Théâtre résonne encore en moi. Quelle puissance.

La révélation, assurément, c’est Marc Zinga. Révélation, le mot n’est pas le bon : je l’avais déjà découvert et adoré en Edmond dans le Roi Lear, déjà par Christian Schiaretti. Mais je me sens un peu obligée d’utiliser ce mot-là, tant il m’a tour à tour charmée et déçue, fascinée puis indignée. Je suis tombée amoureuse de lui, de cet être de fuite qui n’a aucun attachement et dont le regard m’a comme embrasée. Il a trouvé le souffle claudélien. Désormais il sera pour moi l’image de Louis Laine tant il possède son personnage, lui donnant toutes les couleurs d’une palette qui semble presque infinie : évidemment touchant dans son discours sur la liberté, il fait sentir l’indicible lien qui l’attache à Marthe et parvient même à le différencier de celui qui l’unie à Lechy. Il nous fait donc ressentir l’intensité d’un concept. Et c’est ça, Claudel non ? 

A voir.

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© Michel Cavalca


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