Chaque mois, dans les 10 derniers jours, tout comme je le fais pour le cinéma (dans les 10 premiers) et pour la musique (vers le milieu), je consacre un texte à la littérature qui m'a marqué.
Lire c'est un peu beaucoup mon métier (traducteur). Je ne considère jamais que c'est complètement travailler. C'est naturel. Comme marcher ou respirer. C'est explorer les réalités des autres. L'espionner. Y plonger. C'est fréquenter sa/ses visions. C'est vivre certains états, certaines époques. C'est accepter de se laisser transformer.
Ou pas.
Lire, c'est inspirer très fort. Et Vivre avec un grand V.
REVOLUTIONARY ROAD de Richard Yates.
Tous les livres de Richard Yates ont une large part d'autobiographie. Il a 17 ans quand il écrit le personnage de William Grove, qui a cet âge dans A Good School. 29, quand il écrit Frank Wheeler dans Revolutionary Road. Et 36 ans, tout comme Emily Grimes dans The Easter Parade.
Bien qu'il eût été unanimement salué par tous les critiques (et autres écrivains: Kurt Vonnegut, Dorothy Parker, Tennessee Williams, John Cheever, William Styron) de son vivant, jamais il ne vendra plus de 12 000 livres. Ce qui fera en sorte que ces livres ne seront plus réimprimés après sa mort en 1992. Il faudra un essai de Stewart O'Nan, en 1999, pour relancer l'idée de la réimpression de ses oeuvres.
C'est aussi à peu près là que je fais communion avec ses oeuvres.
Revolutionary Road est publié la veille du jour de l'an 1962.
En 1955, le roman se concentre sur les espoirs et les aspirations d'un jeune couple de banlieusards se voyant nettement différents de leurs voisins, dans le quartier de Revolutionary Hill. Le livre ouvre sur une pièce de théâtre où, April Wheeler, femme de Frank, y livre une performance amateure relativement pathétique.
Après la performance, Frank & April ont une importante chicane et Frank commencera une liaison avec sa collègue Maureen. April propose à Frank d'aller s'établir à Paris, le temps qu'il se trouve une meilleur ambition que de rester commis de bureau. Cette idée les rapproche, un temps. Frank cesse même de tromper April avec Maureen. April voit l'exil comme une opportunité de quitter l'ennui de la vie de banlieue, Frank est davantage animé par la vanité.
Le contact du fils d'une voisine fait réaliser à Frank l'abomination de sa vie de banlieue.
Leur plan de quitter les États-Unis est contrecarré et Frank est soudainement stimulé au travail par la possibilité d'une promotion. Frank tentera de manipuler April et de la faire faire appel à de l'aide psychiatrique, April ayant eu une enfance difficile. April succombe à une crise identitaire elle-même et a une liaison avec un voisin. Frank ranime sa liaison avec Maureen.
April prend une initiative malheureuse qui plongera Frank dans l'ultime culpabilité.
Le livre sera adapté en film et tourné par Sam Mendes en 2008, et donnera un Oscar à Kate Winslet dans le rôle d'April, l'année suivante.
Le livre est formidablement bien écrit, nous traînant dans les corridors d'états d'âmes meurtris. Exposant les petites dignités humaines, défendues férocement par deux jeunes adultes, mais surtout les plus creuses humiliations d'un couple qui aurait pu être n'importe lequel des 100 000 couples des banlieues de New York des années 50.
Ou l'esquisse de bien des couples de banlieues des années 50 à nos jours.
Yates condamne un mode de vie d'alors qui tendait vers la conformité, ou une sorte d'aveuglement désespéré nourri d'une envie de confort et de sécurité, peu importe le prix.
Le 7 novembre dernier marquait le 26ème anniversaire de son décès des suites d'une crise d'emphysème. Il avait alors 66 ans.