Un peu d'histoire. Été 2007, Rawkus publiait Port Authority, l'album d'un beatmaker canadien basé à NYC qui se surnomme Marco Polo de par ses origines italiennes. C'était la dernière année d'activité de ce label d'excellence qui a marqué la culture hip hop de la côte est entre 97 et 2004, mais ça tout le monde l'ignorait dès lors. On savait juste que la structure vivait en dilettante alors qu'elle s'évertuait à dénicher de talentueux inconnus, le top du top de l'underground en ne se limitant plus qu'à New-York mais étendait sa zone de recherche sur la côte ouest, et booster leur carrière (The Procussions, Blue Scholar...). Parce qu'on avait une confiance aveugle à Rawkus, ces rappeurs, producteurs ou groupes qu'on ne connaissait pas et qui étaient les ultimes sorties du label, on ne faisait pas la sourde oreille avec, parmi lesquelles donc ce Port Authority de Marco Polo. En l'apparence, l'album d'un artisan du beat qui allait futurement battre le fer pour des pointures de l'underground, mais qui contenait au milieu de grosses collab en inox un titre qui a fait l'unanimité, un classique instantané, " Nostalgia " avec Masta Ace.
Il ne s'agissait pas de leur première collaboration, c'est faux, le légendaire MC underground de Brooklyn avait déjà pioché deux beats à Marco pour son chef d'oeuvre A Long Hot Summer en 2004. À l'époque, c'était personne mais cette date marque le point de départ d'une relation de travail, de collaborations ponctuelles, une amitié qui s'est forgée au fil du temps. Quatorze ans après leur rencontre, les destins d'Ace et Marco Polo se recroisent pour un album complet qui raconte leur histoire, A Breukelen Story. La nostalgie est le maître mot de cet opus réminiscent du boom-bap, et qui dit gros instru, logiquement ça sort chez Fat Beats. Alors si en plus l'alchimie des premiers jours repart de plus belle....
Ni une ni deux, Marco Polo met la gomme avec " Kings" , une grosse entame à la Just Blaze pour catapulter Masta Ace et bien commencer A Breukelen Story. Les notes de piano jazzy se marient à merveille au caisses sur " Brooklyn" , un titre où représentent également les Smif-N-Wessun. Masta Ace n'a pas peur d'écrire tout son amour pour son quartier sur " You & I " (avec un joli refrain féminin), ni sa dévotion inconditionnel pour le Hip Hop sur " I Still Love Her" , en référence au célèbre classique de Common " I Used to Love H.E.R." . " Sunken Place " (avec le chanteur Pav Bundy) est une autre description de l'environnement dans lequel s'est installé Marco Polo. Les skits placés à intervalle réguliers racontent son départ de chez ses parents au début des années 2000 et son installation à Brooklyn à travers de courts dialogue, jusqu'au message de la mère du producteur tout à lafin pour le féliciter pour " Nostalgia " . On comprend l'idée, qui convient indiscutablement aux deux parties, de faire un album boom-bap dans les règles de l'art qui permet à chacun d'exceller dans son domaine, le beat et le lyricisme.
Entre des morceaux qui forment l'histoire de Marco et Ace s'insèrent de grosses tueries, notamment " Corporal Punishment " sur lequel Masta Ace tâcle l'écoute dématérialisée en compagnie et à Elzhi de prendre la main sur le second couplet, et pour clore le tout des scratches de J Dilla et Phat Kat. Marco ne lésine pas sur les scratches, choisissant parmi des phases de Method Man, Jay-Z, etc... Quant à Lil Fame il vient dynamiter " Cout'em Up" . Ace réunit aussi son groupe eMC sur le très bon " Three " agrémenté d'un superbe sample de flûte crépusculaire. Pour le mot de la fin, plutôt qu'un traditionnel happy ending, Masta Ace fait venir Pharaohe Monch pour parler d'un sujet grave et dramatique, le combat contre la maladie. Les mots sont très forts pour montrer l'intangible détermination de Ace qui est atteint d'une sclérose en plaque, pour continuer à vivre de sa passion, faire des concerts, enregistrer de grands albums (fuck la retraite) comme si c'étaient les derniers.
En terme de hip hop new-yorkais, Masta Ace et Marco Polo font la paire, comme Guru et DJ Premier ou encore Pete Rock et CL Smooth en leur temps. A Breukelen Story est plus que très satisfaisant, on pourrait pas rêver mieux.