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"Ce qui est privé de passion n'est rien"

Publié le 01 décembre 2018 par Anargala
privé passion n'est rienDans la Merveille des contes (Kathâ-kautuka) le Cachemirien Shrî Vara (début XVIe siècle, Cachemire) enseigne la philosophie du Tantra à travers la légende de Joseph, le Joseph de l'Ancien Testament. Cette histoire avait été racontée en persan par le poète Djâmî, maître soufi naqshbandî et adepte de la théosophie d'Ibn Arabî. Autrement dit, ce texte sanskrit, composé au début du XVIe dans un Cachemire déjà sous domination islamique, transpose la théosophie d'Ibn Arabî dans la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ). Dans la version persane, une princesse du Maghreb, Zoulayhâ, tombe amoureuse de Joseph (en Egypte) et l'achète. Elle veut l'épouser, mais Joseph lui montre que c'est Dieu qu'elle désire, en vérité. Après avoir réalisé cette vérité profonde, ils se marient et sont heureux. L'idée que tout désir est désir de Dieu vient du Banquet de Platon où la prêtresse Diotime révèle ce mystère de l'amour au jeune Socrate. Cette idée a ensuite été reprise par les soufis, les troubadours et tous les mystiques, car elle assure une continuité entre désir charnel et désir spirituel.Dans la philosophie de la Reconnaissance, le désir est la source, à égalité avec Dieu. En fait, l'absolu balance entre l'extase créatrice (râga, la passion) et le retrait dans la transcendance (virâga, le dé-goût). L'un n'est pas supérieur à l'autre. Passion et distance sont deux moments de la vie de l'absolu qui forment un cycle qui va se répétant à l'infini. Ce genre de pensée inclusive est typique du Tantra du Cachemire. Shrî Vara, un brahmane qui a appris le persan mais qui a toujours refusé de se convertir à la foi des envahisseurs, profite de la ressemblance entre la doctrine platonicienne de la passion (intégrée au soufisme par Ibn Arabî) et la doctrine tantrique du désir, pour composer cette belle oeuvre, qui fait une centaine de pages dans la version sanskrite. Shiva y remplace Allah et une yoginî se substitue à la princesse Zoulayhâ.On peut lire ce beau passage à la fin du premier chapitre :[Shiva] s'unit à l'énergie du désir, baignant dans la passion et prenant appui sur elle. En effet, Dieu, le Dieu infini, identique au [désir], émet le monde. Il agence d'innombrables créations qui sont autant de facettes de lui. Il joue le jeu de la passion : c'est ainsi que le Puissant se manifeste. Le monde entier est donc créé par le désir, tout ce qui vit ou non est agencé par lui. Passionné, le dégoût ne naît jamais [en Shiva]... Le monde entier consiste donc en passion, aussi bien les choses douées de conscience que celles qui en sont privées. C'est ainsi qu'il se manifeste avec ardeur. Ce qui est privé de passion ne compte pour rien ! ... Voilà ce qui est bon. Voilà pourquoi les sages [= Abhinava Goupta] ont dit que tout ce qui fait obstacle à la délectation (rasa) est sans substance."(Kathâ-kautuka I, 57-65)Cette oeuvre originale confirme pour moi les résonances entre platonisme et Reconnaissance, ainsi que l'importance du désir dans toute vie intérieure.Le texte sanskritUn article sur ces deux oeuvres (mais la connaissance de l'auteur concernant le shivaïsme du Cachemire laisse à désirer ; il ignore tout du platonisme aussi bien)La rencontre de Joseph et Zuleyha dans un nanar turque :

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