Otto Finsch, on l'a vu, a collecté pour la New Guinea Company, et de nombreux objets ont été envoyés au musée d'ethnologie de Berlin ouvert en 1886 et dont le premier directeur fut Adolf Bastian.
Mais la New Guinea Company n'était pas la seule entreprise commerciale ayant compté pour la collecte précoce d'artefacts en Mélanésie. Avant elle, la compagnie créée par Johann Caesar Godeffroy fait office de modèle dans ce domaine. Ce dernier avait en effet créé en 1861 un véritable musée basé à Hambourg et avait confié sa collection aux bons soins d'un autodidacte, un certain Johan Dietrich Eduard Schmeltz qui n'eut de cesse de publier des catalogues, des annuaires ; documentant le mieux possible les artefacts et les conditions de collecte.
Pour comprendre le caractère exceptionnel de ce musée, il faut savoir que l'entreprise était dans les années 50 l'une des firmes les plus prospères de Hambourg. Après ses débuts en Amériques, la compagnie s'ouvrait vers l'Est, vers les Indes... La grande crise financière de 1857 l'ayant un peu ébranlée, elle se tourna vers le Pacifique. Après un premier comptoir établi dans les Samoa en 1857, puis sous l'impulsion d'un nouveau directeur des affaires du Pacifique, Theodore Weber, arrivé en 1863 qui développa le commerce du coprah, l'empire Godeffroy s'étendit des Samoa au Philippines en passant par la Micronésie et la Nouvelle Guinée.
À la tête d'une immense fortune, Goddefroy, passionné d'histoire naturelle, pouvait donc embaucher pléthore de scientifiques pour travailler à la collecte et à la documentation de nombreux spécimens, et c'est ce qui arriva : des personnes aussi diverses que Eduard Heinrich Graeffe, un zoologiste suisse ; Amalie Dietrich, une naturaliste allemande qui se passionnera pour l'Australie (cf. photos ci-dessus) ; Andrew Garret, un naturaliste et illustrateur américain grand amateur de la faune aquatique ; et enfin Johann Stanislaus Kubary, un exilé politique polonais qui devint naturaliste et ethnographe et réussit à monter une collection qui sera vite réputée...
Le musée de Godeffroy visait un double objectif, scientifique d'une part (et ce fut un succès car aucun musée de l'époque ne pouvait rivaliser avec lui vu la qualité de la formation de ses collecteurs et leur nombre), et commercial d'autre part car il revendait ses doublons...
Entre 1864 et 1881, Schmeltz dressa pas moins de 8 catalogues de doublons à vendre et on retrouve ces objets de nos jours dans des musées allemands.
De plus, en 1881, la "bible" du museum parut toujours grâce aux efforts de Schmeltz sous la forme de 700 pages illustrées et documentées : Die Ethnographisch-Anthropologische Abtheilung des Museum Godeffroy in Hamburg: ein Beitrag zur Kunde der Südsee-Völker.
Malgré cela et avec des revers de fortune, la vente du musée tout entier s'amorça dès les années 80 et connut de nombreuses péripéties dues aux multiples tractations des acheteurs entre eux, notamment des musées allemands et étrangers (Berlin, Leipzig, Leiden, Londres et Hambourg), provoquant de fortes polémiques si la collection venait à quitter l'Allemagne.
Alors que la collection devait être cédée pour un million de marks, avec toutes les péripéties qui s'attachèrent à sa vente, elle fut pour l'essentiel vendue à Leipzig pour une somme de 95000 marks !!! Après la mort de Johann Caesar Godeffroy en février 1885 et parce que ce dernier aurait stipulé le souhait de voir sa collection rester en Allemagne et plus spécialement à Leipzig, ses héritiers ont probablement décidé de la brader au musée de cette ville ; telle est l'hypothèse de Glenn Penny (cf. sources) pour expliquer cette vente à "bon marché".
C'est Hambourg qui fut la grande perdante de l'affaire et jetée à la vindicte populaire pour avoir négligé l'importance du museum et ne pas avoir gardé en ses murs un beau trésor. Aussi en 1904, lorsque Georg Thilenius devint le directeur du musée d'ethnologie et projeta l'idée d'une expédition dans les Mers du Sud, les fonds furent probablement plus aisés à réunir en souvenir de cette ancienne blessure "d'être passé à côté"...
À noter que des collections zoologiques ont tout de même été achetées en 1886 par Hambourg et quelques objets se retrouvent à Leiden car Schmeltz est devenu conservateur du Musée ethnographique en 1882, puis son directeur.
Une troisième compagnie commerciale allemande comptera pour la collecte d'objets et de spécimens d'histoire naturelle. Il s'agira de la Hernscheim Company, fondée en 1875 par les frères Franz et Eduard Hernsheim et dont les principaux comptoirs s'installeront à Yap (Carolines), Jaluit (Marshall) et Matupi (Péninsule de la gazelle, île en face de Rabaul). En 1893, Maximilian Thiel, le neveu d'Eduard Hernsheim, prend la direction de la branche concernant ce qui s'appelle maintenant l'archipel Bismarck... à suivre...
Sources :
Voir les sources de l'article sur Otto Finsch
Télécharger Die Ethnographisch-Anthropologische Abtheilung des Museum Godeffroy in Hamburg: ein Beitrag zur Kunde der Südsee-Völker
H. Glenn Penny, 2000, "Science and the Marketplace: The Creation and Contentious Sale of the Museum Godeffroy" in Pacific Arts n°21/22
Ray Sumner, 1986, Photographs of Aborigines of North-East Australia : a collection of early Queensland Aboriginal Photographs made by Amalie Dietrich for the museum Godeffroy in Aboriginal History Vol. 10, No. 1/2.
Photos 1 et 3 : Planches de dessins in Die Ethnographisch-Anthropologische Abtheilung des Museum Godeffroy in Hamburg: ein Beitrag zur Kunde der Südsee-Völker.
Photo 2 : © Amalie Dietrich