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Mémoires d’abjection

Publié le 13 décembre 2018 par Pantalaskas @chapeau_noir

« Regards d’artistes »

Ouvrir à l’art contemporain un lieu de mémoire porteur d’autant de souffrances, de drames qu’est le Mémorial de la Shoah à Paris présente pour les artistes invités un défi de taille. Comment éviter de basculer dans une commémoration tragique qui sera toujours en deçà de la réalité monstrueuse à laquelle elle se réfère ? Comment trouver une approche qui, sans trahir la raison d’être d’une œuvre, puisse se hisser à la hauteur de ce qui échappe encore à toute raison humaine ?

Mémoires d’abjection

Sylvie Blocher, accompagnée par Gérard Haller : « Nuremberg 87 » film 16 mm 9mn

« Regards d’artistes » est assurément un titre bien faible pour situer la valeur attendue dans la démarche d’un artiste choisi pour aborder une telle épreuve. Sylvie Blocher (avec Gérard Haller), Arnaud Cohen, Natacha Nisic, Esther Shalev-Gerz, accompagnés par une proposition de l’historien Christian Delage ont accepté de se confronter à ce défi.
Bien sûr c’est de mémoire qu’il est question et chaque intervenant a proposé sa propre voie pour rendre visible, sensible cette recognition nécessaire. Deux propositions seront évoquées ici.

« Nuremberg 87 »

Sylvie Blocher, accompagnée par Gérard Haller, présente « Nuremberg 87 ».
Le film parcourt l’enceinte du stade actuel de Nuremberg qui accueillait chaque année le congrès du parti nazi au cours duquel Hitler prenait la parole et où se déroulaient les défilés hitlériens. Alors qu’un long et lent travelling décrit le stade figé dans cette mémoire, la voix de l’actrice allemande Angela Winkler énonce les prénoms des personnes assassinées dans les centres de mise à mort. Replaçant la parole du génocide dans ce symbole de l’idéologie nazi, le film opère ainsi dans le même temps un raccourci historique avec le Nuremberg de 1945-1946 marqué par le procès contre les hauts responsables nazis.

Mémoires d’abjection

« Dansez sur moi » (Détail)  Arnaud Cohen 2017

« Dansez sur moi »

Arnaud Cohen, pour sa part, propose « Dansez sur moi «  qui «puise son inspiration dans le passé collaborationniste de mon atelier. » explique-t-il. Ces « fausses » tombes sont celles de personnages historiques : Maurice Rocher, propriétaire de nombreuses usines dans l’Ouest, Jean Bichelonne le polytechnicien en charge avec Speer d’intégrer les usines françaises au complexe militaro-industriel du Reich, et Wernher Von Braun, inventeur et client final pour son usine secrète de montage des fusées V1 et V2. » Arnaud Cohen intègre cette mémoire dans une interaction contemporaine. Lors d’une fête dans son atelier, les invités ont eux aussi dansé sur les tombes fictives de ces personnages « grands rouages  politiques, économiques mais aussi artistiques de la collaboration active autant française qu’allemande ». Le film des caméras vidéo de surveillance qui ont fixé cet évènement  participe à l’installation du Mémorial de la Soah. et l’artiste recrée avec « Dansez sur moi » l’ambiance …de cette soirée festive.

Mémoires d’abjection

« Dansez sur moi » Arnaud Cohen 2017

Lors de sa présentation précédente  au Rosa Luxemburg Platz Kunstverein de Berlin, cette œuvre fut remarquée par le cinéaste Wim Wenders qui entraina Arnaud Cohen dans sa danse.
Le travail photographique de Natacha Nisic, s’attachant à une image qui s’est imposée à elle face à l’eau stagnante d’un réservoir situé à côté des rails d’Auschwitz, accède lui aussi, avec ce détour par le contemporain, à cette tentative d’appréhender l’indicible au travers de cette mémoire de recognition.

Photos de l’auteur

« Regards d’artistes »
Sylvie Blocher (avec Gérard Haller), Arnaud Cohen, Natacha Nisic, Esther Shalev-Gerz, accompagnés par une proposition de l’historien Christian Delage
12 décembre 2018 au 10 février 2019
Mémorial de la Shoah
17, rue Geoffroy l’Asnier
75004 Paris


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