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Célébrer Noël à la Cour sous l’Ancien Régime

Par Plumehistoire
Célébrer Noël à la Cour sous l’Ancien Régime

Sous l'Ancien Régime, les fêtes de Noël sont avant tout des célébrations religieuses destinées au recueillement. La description que fait Dangeau dans son Journal des 24 et 25 décembre 1697 illustre bien les pieuses habitudes de la famille royale à cette période :

Mardi 24, veille de Noël : le roi fit le matin ses dévotions. Après-dîner il entendit vêpres ; ensuite il fit la distribution des bénéfices vacants. A dix heures il retourna à la chapelle, et n'en sortit qu'après avoir entendu les trois messes de minuit comme il fait tous les ans. Monseigneur, messeigneurs ses enfants et madame la duchesse de Bourgogne assistèrent à toutes les dévotions de la journée. [...] Jour de Noël : le roi entendit la grande messe et assista à toutes les dévotions de la journée. Monseigneur et les princes ses enfants y assistèrent avec lui.

La coutume veut aussi que la veille de Noël (comme à la Toussaint, à Pâques et à la Pentecôte), le roi touche les malades des écrouelles : à cette époque la population croit encore profondément au sacre (cérémonie religieuse), qui confère à l'élu le pouvoir de guérir cette tuberculose des ganglions lymphatiques.Louis XIV prend aussi l'habitude de s'enfermer avec son confesseur le père la Chaise et souvent il travaille tard le soir en compagnie de Madame de Maintenon et de certains ministres. Ce n'est donc en aucun cas une soirée festive... D'ailleurs le monarque interdit jeux, spectacles et comédies durant l'Avent !

Son successeur Louis XV se montre moins strict : les courtisans sont priés de se tenir tranquilles uniquement durant la veillée de Noël. Le duc de Luynes l'écrit par exemple dans ses Mémoires en décembre 1743 :

Mardi, veille de noël, il n'y eut ni comédie, ni jeu ; c'est l'usage. La reine se retira dans ses cabinets après qu'elle fut rentrée de l'église.

La tradition veut aussi que l'on donne un sermon chaque dimanche de l'Avent et qu'un membre de la Cour fasse la quête la veille de Noël. En 1741, c'est au tour de Madame de Chevreuse : " Ce fut Mme de Chevreuse qui quêta ; le total de la quête monta à 45 louis. "

Les cadeaux... du Nouvel An

Sous l'Ancien Régime, des présents sont distribués non pas pour Noël mais pour célébrer la nouvelle année. C'est l'occasion pour le roi, la reine et les princes de témoigner leur reconnaissance ou leur amitié aux membres de leur maison et de la Cour en les gratifiant d'un bijou ou en leur remettant une certaine somme d'argent : les étrennes.

Le 1 er janvier 1606, le dauphin Louis, âgé de 5 ans, est surexcité à l'idée de pouvoir distribuer des présents aux courtisans. Son médecin raconte :

Vêtu de son manteau, coiffé, peigné paisiblement pour ce qu'on lui dit qu'il ne fallait pas faire l'opiniâtre le premier jour de l'année, de peur de l'être toute l'année. Il tient le manchon de Mme de Montglat, et s'en va à chacun, l'en frappant gaiement et souriant en disant : Tenez, voilà vos étrennes, et comme honteux de n'avoir aucune chose à donner à ceux qui lui demandaient. On lui apporte du ruban bleu ; il en donne à plusieurs.

L'année suivante, le 26 décembre, il demande à écrire : " Je veux écrire un petit livre que je veux faire imprimer, pour envoyer à papa [Henri IV] pour ses étrennes. "

La pratique prend de l'importance sous Louis XIV. Le 31 décembre 1699, le roi n'hésite pas à analyser de son regard critique les cadeaux que les courtisans vont offrir à l'épouse de son petit-fils :

Le soir, chez Madame de Maintenon, toutes les dames de madame la duchesse de Bourgogne firent porter dans une grande manne les présents qu'elles faisaient à cette princesse pour ses étrennes. Le roi se donna la peine de tout ouvrir et de tout voir, et trouva les présents fort bien choisis.

Louis XIV donne très souvent de l'argent que ses proches sont heureux de dépenser ensuite à leur guise ! Sa belle-sœur Elisabeth-Charlotte, grande collectionneuse de médailles, écrit à la duchesse de Hanovre le 10 janvier 1700 :

Certes j'ai à vous remercier de ces belles médailles ! Vous ne vous figurez pas quel amusement c'est pour moi. Je passe des journées entières à les regarder, comme aussi mes médailles antiques. Lundi dernier j'en ai de nouveau acheté cent cinquante avec l'argent que le roi m'a donné pour mes étrennes.

Le Roi-Soleil prend aussi l'habitude de commander pour l'occasion à l'administration des Menus Plaisirs des tabatières en or. Un rituel maintenu sous Louis XV, qui fait par exemple un présent à son épouse en janvier 1746 :

Le Roi donna hier des étrennes à la reine, ce qu'il n'avait point fait depuis plusieurs années ; c'est une petite tabatière d'or émaillée, dans laquelle il y a d'un côté une montre.

Tabatière en or (époque Louis XVI)

Marie Leszczynska adore cette pratique des étrennes. Elle en offre à toutes les personnes qu'elle estime. Ainsi à Madame de Luynes, " une tabatière d'or incrustée de corsalines en forme de cerises parfaitement belles ".

Si les tabatières en or sont donc toujours présentes, des présents plus originaux ou plus somptueux sont aussi distribués, et parfois en avance, se rapprochant ainsi de la date de Noël. Le 31 décembre 1744 :

Hier le roi donna des étrennes à Mesdames [ses filles] ; à l'une, une paire de boucles d'oreilles de diamant, à l'autre une cave de cristal de roche.

Deux ans plus tard, la reine envoie au domaine de Choisy où réside son époux " deux fort belles terrines de porcelaine de Saxe, qu'elle fit remettre à M. de Coigny ; elle furent présentées au roi sans dire de qui elles venaient ; ce présent a fort bien réussi ". L'année suivante, le roi, féru de sciences, offre à sa femme une très belle pendule qui joue 13 airs, pour décorer ses cabinets.

Dans son J ournal, Louis XVI note scrupuleusement ses dépenses quotidiennes. Madame Elisabeth, sa sœur, compte parmi celles qui bénéficient des plus grandes largesses. Son frère lui offre près de 150 000 livres en bijoux de 1780 à 1783... Somme presque dérisoire en comparaison des commandes passées à l'orfèvre Aubert pour les bagues, parures et colliers destinés à Marie-Antoinette !

Un sapin bien tardif !

Dès le règne d'Henri IV, la coutume de la bûche est attestée. Cette dernière n'a alors rien d'un gâteau ! Il s'agit d'une véritable bûche ou " souche " en bois que l'on jette au feu la veille de Noël. Le médecin du jeune dauphin, futur Louis XIII, témoigne le 25 décembre 1605 :

Le Borgne [un domestique] arrive, le dauphin lui voit mettre des bûches au feu, dit que c'est la venue de Noël, d'autant que le jour auparavant, avant souper, il vit mettre la souche de Noël, où il dansa et chanta à la venue de Noël.

En revanche, pas de sapin. La coutume de décorer un arbre pour les fêtes de Noël vient d'Allemagne et des pays de l'est de l'Europe. Au XVIII ème siècle, cette tradition n'est pas du tout dans les mœurs des Français ! Les princesses germaniques qui arrivent à Versailles s'en étonnent. L'une des premières à tenter de diffuser ce folklore à la Cour est une princesse bavaroise : Elisabeth-Charlotte, seconde épouse de Monsieur frère de Louis XIV. En décembre 1708, dans une lettre à sa fille devenue duchesse de Lorraine, elle raconte avec nostalgie ses Noëls à Hanovre :

Je ne sais si vous avez un autre jeu qu'on fait encore en Allemagne qu'on appelle le Christkindl, comme qui dirait l'enfant Christ, où on dresse des tables comme des autels et qu'on garnit pour chaque enfant de toutes sortes de choses, habits neufs, argent, soie, des poupées, sucrerie, et toutes sortes de choses. On met sur ces tables des arbres de buis, et à chaque branche on attache une petite bougie : cela fait le plus joli effet du monde.

La tentative de Madame est un échec, comme elle l'avoue à Sophie de Hanovre dans une lettre de janvier 1711, après avoir une fois encore évoqué ses souvenirs : " Ici on ne connaît rien de tout cela. J'ai voulu l'introduire, mais Monsieur disait : Vous nous voulez donner de vos modes allemandes pour faire de la dépense. "

Et ce n'est certainement pas la " très catholique " Madame de Maintenon qui allait soutenir la " coutume païenne " de sa pire ennemie...

La légende veut que Marie Leszczynska, à son arrivée en France, réussisse enfin à implanter la coutume en faisant décorer un arbre au château de Versailles. La chose paraît improbable. Aucune source fiable ne semble confirmer ce fait. L'un des principaux courtisans de la reine et grand mémorialiste du temps, le duc de Luynes, n'en fait pas mention. Pas plus que le duc de Cröy dans son fabuleux Journal, ni même la presse de l'époque. Un tel événement, totalement incongru, ne serait pas passé inaperçu ! Mais sous Louis XV, c'est une autre sorte de reine, une reine de cœur (bien Française celle-ci !) qui donne le ton : la marquise de Pompadour.

Il faut en réalité attendre la venue d'une autre princesse allemande pour voir cette tradition se populariser à la Cour. Hélène de Mecklenbourg arrive en France en 1837 pour épouser le duc d'Orléans, fils aîné du roi Louis-Philippe. Elle garde un souvenir merveilleux des Noëls passés dans sa famille, lorsque ses parents et ses frères et sœurs se réunissaient à Friedensbourg autour du sapin pour s'échanger leurs présents... Le lendemain de Noël 1837, le premier qu'elle passe en France, la duchesse d'Orléans écrit à sa mère, ravie :

La veille de Noël, la bonne reine [Marie-Amélie de Bourbon] m'avait procuré une surprise, en faisant garnir secrètement un bel arbre qu'on plaça dans mon salon blanc, pour qu'il me rappelât l'Allemagne.

Une tradition qui semble s'installer dans le cercle de la famille royale, puisque le 1 er janvier 1844, alors qu'Hélène est déjà jeune veuve après la mort accidentelle de son époux, elle écrit de nouveau à sa mère :

Nous avons, comme autrefois, terminé l'année chez le roi, sous le sapin illuminé. Les enfants ont eu une grande joie de leurs cadeaux.

L'arrivée du sapin de Noël à la Cour de France coïncide aussi avec un mode de vie plus bourgeois, à l'image de celui que mène la famille royale britannique : la reine Victoria adopte à son tour dans son château de Windsor la mode du sapin décoré, tradition importée par son époux, un Allemand, le prince Albert de Saxe-Cobourg...

Repas maigre et repas gras

La veille de Noël, la famille royale mange maigre : poisson, potages, et fruits de mer. C'est sans doute de là que vient la tradition de manger des huîtres pour les fêtes ! Après la messe, tout le monde prend un repas plus conséquent, la période de jeûne est passée : le repas gras. On mange beaucoup d'agneaux de lait et surtout de la volaille, plus noble : de l'oie, du chapon et bien sûr de la dinde. Cette-dernière apparaît en France au XVIème siècle et vient des Indes espagnoles (les Amériques), d'où son nom : la poule d'Inde, la dinde ! Exotique et donc rare elle supplante bientôt l'oie à la table des rois. Les viandes sont souvent farcies et truffées.

Selon la légende, le champagne serait arrivé à la Cour sous Louis XIV. Ayant entendu parlé d'un moine bénédictin, Don Pérignon, qui fabrique dans son abbaye un excellent breuvage, le roi s'en fait livrer à Versailles pour le découvrir... et l'adopte. Il connaît une consommation accrue sous Louis XV et Louis XVI.

Autre met traditionnel de Noël qui serait apparue à la Cour du Roi-Soleil : le marron glacé. L'origine exacte est un peu floue, il est en revanche certain que Louis XIV et ses courtisans en raffolent, notamment pour Noël. Le français Pierre de La Varenne, cuisinier du marquis d'Uxelles à Châlon-sur-Saône (près de Lyon) dévoile une recette dans son ouvrage Le Parfait Confiturier édité à Paris en 1689 avec privilège du roi :

Faites cuire des marrons à l'ordinaire ; étant cuits, pelez-les et aplatissez un peu entre les mains : accommodez-les sur une assiette, et prenez de l'eau, du sucre, un jus de citron ou de l'eau de fleurs d'orange, faites-en un sirop, étant fait, versez le tout bouillant sur vos marrons, et les servez chauds ou froids.

Sources

Mémoires du duc de Luynes

Journal de Dangeau

Lettres inédites d'Elisabeth-Charlotte, duchesse d'Orléans et princesse Palatine

Journal de Jean Héroard, médecin de Louis XIII

Lettres Originales de Madame La Duchesse D'Orleans: Helene de Mecklenbourg-Schwerin Et Souvenirs Biographiques (1839)

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