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14-18, Albert Londres : «Et nous qui revenons de chez les Allemands nous rions.»

Par Pmalgachie @pmalgachie
Le président Wilson au milieu de ses soldats (De l’envoyé spécial du Petit Journal.) L’imagination, comme l’esprit, a ses idées fixes. On se figure un paysage ou un homme de telle façon et on croit que c’est vrai. Pour notre compte nous voyions très bien Wilson assis dans sa Maison-Blanche ainsi que devant le Panthéon l’est notre Penseur. Wilson n’a pas son doigt contre son front ni ses yeux figés ; il vit, rit, se tourne et va tout comme s’il n’avait jamais eu à réfléchir davantage que nous. Nous venons de passer une journée autour de lui. Nous l’avons vu le soir sur les minuit alors qu’en son wagon il allait se coucher. Nous l’avons vu, le matin à son petit lever, à sept heures – sept heures du mois de décembre ce qui fait bien 5 heures du mois de mai. Nous l’avons vu en train de déjeuner : à tous ces instants il était gracieux. C’est certainement un penseur mais c’est un penseur souriant. Le président Wilson allait passer la Noël avec ses soldats et, pour leur témoigner encore plus de grâce, Mme Wilson l’accompagnait. C’était un grand jour. Jusqu’à présent l’illustre homme n’avait en France vu que la France, cette fois, transplantée il allait y voir l’Amérique. Un jour par l’effet de sa décision des centaines de milliers d’hommes avaient été jetés sur notre sol. Il allait voir comment ils portaient le casque qu’il leur avait donné. Le président Wilson était sûrement prédestiné ; il a une figure et des attitudes faites exprès pour des médailles. Quand il salue par exemple comme quand il est descendu à la gare de Chaumont et qu’il s’est trouvé devant ses drapeaux et son hymne il prend son chapeau haut de forme et d’un geste simple en décoiffant sa tête en coiffe son cœur et il reste ainsi immobile et c’est très grand. C’est bien la première fois que le chapeau haut de forme paraissait si plein de dignité. Et, à Chaumont encore, à la sortie de l’hôtel de ville, alors qu’il venait d’entendre une fois de plus combien on l’aimait, en France, et qu’il allait remonter dans sa voiture, il se retourne, voit que des jeunes filles et des enfants rougissent d’envie d’aller lui serrer la main : « Eh bien, venez », leur dit-il, et tous accourent et il serre toutes les mains et il se laisse entourer. Les policemen, devant leur bel ordre si rapidement défait en éclatent de rage impuissante. Comme si on voulait lui faire du mal, à votre président ! Regardez-le, tenez, et dites-moi s’il n’est pas content de cette jeunesse qui l’assaille. Il n’est pas pressé de remonter en auto ! Voyez donc comme il rit. Mais Wilson va voir ses soldats. C’est à trente kilomètres de là, sur le plateau qui domine Langres. Il arrive. Ses troupes y sont, massées. Les bataillons américains plus que tous les autres de n’importe quelle nation font une impression de masse. Cela vient de ce que les hommes marchent côte à côte, qu’ils ont des fusils sans baïonnette qui ne les dépassent guère et que le casque plat des Anglais, avec ses bords en aile, semble encore réunir par les têtes ces rangs pressés. Un bataillon américain est trapu. C’est comme un mur qui s’avancerait. Il y en a là de six divisions. Et Wilson va enfin les voir, les siens qu’il envoya à la bataille. Ce régiment, celui qui passe le premier, il a tenu le Chemin des Dames. Il l’a tenu jusqu’au 21 mars, le 21 mars de cette année. Froid souvenir, Monsieur le Président. Il se leva alors, car il fallait frapper ailleurs. Ce secours-là nous vous le devons. Merci. Et ce second ? Ah ! celui-là c’est à Château-Thierry qu’il était, en juin, le 10 de cette année aussi. Ils étaient déjà sur la Marne, les Boches, Monsieur le Président. Marchand, notre général Marchand qui était également à Château-Thierry un soir, sur le coup de six heures près de la statue de La Fontaine, disait alors que l’ennemi ne s’arrêtait pas de pousser : « J’ai ma division, et j’en réponds et j’ai à gauche les Américains et j’en réponds aussi. » Merci. Et ce troisième ? C’est Saint-Mihiel. Merci. Et ce quatrième ? C’est Montfaucon. Merci. Le président Wilson est debout, à sa gauche est Pershing. Il regarde passer ceux qui, à sa voix, se sont levés. Ils passent, s’enfonçant dans la boue, les yeux tournés vers lui, leur drapeau, qui a cessé d’être neuf, claquant à leur tête. Ils sont dans leur aspect de guerre, tels qu’ils partaient, quand sur nos routes angoissées, dans ce printemps ils montaient à notre aide. La victoire avec tout son prix enveloppe leur marche. Wilson profondément les regarde. Et nous qui revenons de chez les Allemands nous rions. Les Allemands veulent se jeter dans les bras de Wilson. Ils disent : « Wilson nous écoutera. » Ce que Wilson écoute nous a tout l’air d’être autre chose. Ce n’est peut-être même pas seulement les pas de ceux qui défilent. Si c’était le dernier soupir de ceux, par les Allemands, couchés en terre ? Le Petit Journal, 26 décembre 1918. 14-18, Albert Londres : «Et nous qui revenons de chez les Allemands nous rions.» Ainsi se termine, pour ce blog, la publication des articles d'Albert Londres de 1914 à 1918. Il reste le livre: Albert Londres. « Je ne dis que ce que je vois » 3,99 euros ou 12.000 ariary ISBN 978-2-37363-076-3

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