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(Anthologie permanente) Volker Braun, Poèmes choisis

Par Florence Trocmé


Volker BraunLa collection Poésie/Gallimard publie une sélection de poèmes du poète allemand Volker Braun, choisis et traduits par Alain Lance et Jean-Paul Barbe.
Cette version n’est pas bilingue mais Poezibao propose ici trois poèmes et leur version originale.
Essentiellement poète, mais aussi romancier et dramaturge collaborateur du Berliner Ensemble, Volker Braun est né en 1939 à Dresde. Sa vie et son œuvre sont étroitement liées à l'histoire de la RDA dont il fut sans doute un des poètes les plus emblématiques malgré sa prise de distance critique très précoce avec les dérives du système bureaucratique qui trahissaient les principes initiaux. Dissident de l'intérieur en quelque sorte, surveillé par la Stasi, il développe une poésie intempestive, dans la tradition d'un Heine ou d'un Brecht, caractérisée par l'usage constant de l'ironie comme instrument d'analyse, virtuose et complexe dans ses formes. On y entend certes un désenchantement mais sans renoncement ni désengagement, le poète continuant jusqu'à aujourd'hui à réfléchir aux raisons de l'échec de la RDA comme aux impasses du modèle capitaliste occidental.
WALTER BENJAMIN DANS LES PYRÉNÉES
S'enfoncer calmement dans le mur de brouillard.
Les bras rament repliés mais régulièrement.
Selon les indications du papier au-dessus du précipice
L'explosif dans la sacoche
Le présent
Pas à pas, comme le hasard
Offre au pied un mince point d'appui
Dans le matériau. Chère Madame, le vrai risque
Serait de ne pas partir.
D'après la montre / une halte au bout de cinq lignes.
Des champs où ne pousse que la folie.
Progressant, hache plantée en tête
Je n'ai rien à dire. A montrer seulement.
Dans le plus petit segment précisément découpé.
Sans regarder à gauche ou à droite vers
L'horreur
J'y arriverai en suivant la méthode.
La vigne ruisselle, dévale à la verticale
Pleine de grappes sombres sucrées presque mûres.
Le plus important, c'est la sacoche ! Le corps entre les ceps
Respiration difficile, le cœur
Lutte, le moment critique :
Quand le statu quo risque de durer.
Squelette sous moi au-dessus de moi les vautours.
Plus courtes enjambées, pauses plus longues.
Ma patience me rend indépassable.
Hisser les voiles des concepts. Chère Madame,
Puis-je me servir ? Au sommet
Soudain comme prévu la violence
Du coup d'œil. Bleu profond des mers :
D'un seul coup j'en vois deux. Côtes de cinabre.
Sous les falaises, la liberté
...
À Port-Bou on ne passe pas. Mais nous les apatrides
Avons la dose mortelle
Voudriez-vous garder la sacoche — sur nous.
Sans doute pensa-t-il ne pas pouvoir faire une nouvelle ascension. Au matin les douaniers ont trouvé le cadavre dans mon texte. La construction suppose la destruction. La lourde sacoche de cuir, échappée à la Gestapo, UNOS PAPELES MAS DE CONTENIDO DESCONOCIDO, a été perdue. Trop rapide, le trait final, monsieur, à votre vie. La vie, si je puis dire, porte l'oeuvre sur cette pente abrupte.
Dans chaque œuvre on trouve cet endroit où le vent frais nous souffle au visage, comme l'aube qui vient.
BENJAMIN IN DEN PYRENÄEN
Ruhig schreiten in die Nebelwand.
Die Arme rudern eckig, aber gleichmäßig.
Exakt nach dem Papier über dem Abgrund.
In der Aktentasche Ekrasit, d.i.
Die Gegenwart
Schritt vor Schritt, wie der Zufall
Dem Fuße einen schmalen Stützpunkt bietet
Im Material. Gnädige Frau, Nichtgehn
Wäre das eingentliche Risiko.
Nach der Uhr / nach fünf Zeilen rastend.
Felder, auf denen nur der Wahnsinn wuchert.
Vordringen mit der Axt im Kopf
Ich habe nichts zu sagen. Nur zu zeigen.
Im kleinsten scharf umschnittenen Segment.
Ohne nach rechts und links zu sehen ins
Grauen
Nach der Methode werde ich es schaffen.
Der Weinberg rieselt, rutscht in die Senkrechte
Voll von fast reifen süßen dunklen Trauben.
Die Tasche ist das allerwichtigste! der Leib zwischen
   Rebstöcken
Schwer atmend, das Herz
Kämpft, der kritische Augenblick:
wenn der Status quo zu dauern droht.
Skelette unter über mir Aasgeier.
Kürzere Schritte, längere Pausen.
Meine Geduld macht mich unüberwindlich.
Die Segel der Begriffe setzen. Gnädigste
Darf ich mich bedienen? Auf dem Gipfel
Plötzlich wie erwartet die Gewalt
Des Ausblicks. Tiefblaue Meere:
Auf einmal seh ich zwei. Zinnoberküsten.
Unter den Klippen Freiheit.
Kein Durchlaß in Port Bou. Wir Apatriden
Haben aber die tödliche Dosis
Würden Sie die Tasche halten, bei uns.
Er dachte vermutlich, den Aufstieg nicht noch einmal zu
schaffen. Am Morgen fanden die Grenzbeamten den
Leichnam in meinem Text. Die Konstruktion setzt De-
struktion voraus. Die schwere Ledertasche, gerettet vor
dem Zugriff der Gestapo, UNOS PAPELAS MAS DE
CONTENIDO DESCONOCIDO, ging verloren.
Zu rasch
der Schlußstrich, Herr, in Ihr Leben. Das Leben trägt das
Werk, wenn ich das sagen darf, an diesem Steilhang.
In jedem Werk gibt es die Stelle, an der es uns kühl anweht
wie die kommende Frühe

© Suhrkamp Verlag, Lustgarten,  Suhrkamp Verlag, 1996
/
ULTIMATUM À L'ÎLOT PERSIL
Quelques phrases dictées
À cet îlot sans défense... C'est quoi, ces traces ?
Du sel et des pieds indéfinis
Taillis, respiration impénétrable.
Falaises, ne relevant d'aucune puissance.
Et bancs de poissons tournant casaque.
Qu'y a-t-il à l'intérieur ? Déserts ? Mugissements
Traces de vie (les inspecteurs les trouveront).
Ces gestes nus et dissimulés, du pétrole en sommeil
Le désordre. Personne pour diriger la mer :
Saleté et entêtement, le séparatisme des sentiments.
Les patrouilles interceptent les bateaux qui coulent.
Que chuchote-t-on, un secret, YAKUZA, JACUZZI
Cela appelle des représailles.
Ces pensées, si mobiles, qui visent au plus simple
Un rivage à personne... Comment d'ailleurs
Peut-il rester là, étendu dans la mer remontée
Un blanc indépendant. Rends-toi, petite île
Laisse tomber tes réfugiés, tes chèvres chétives
Accepte l'ordre
Arrache ton persil
Et accueille les cavaliers blindés
ULTIMATUM AN DIE PETERSILIENINSEL
Diesem wehrlosen Eiland
Ein paar Sätze diktiert... Was sind das für Spuren
Salz und undefinierte Füße
Dickichte, atmend, undurchdringlich.
Klippen, keiner Macht zugesprochen.
Und Fischschwärme, welche die Seiten wechseln.
Was ist das im Innern? Wüsten? Getöse
Anzeichen von Leben (die Inspektoren werden es finden).
Diese nackten verborgnen Gebärden, schlummerndes Öl
Ungeregelte Zustände. Dirigiert denn keiner das Meer:
Schmutz und Eigensinn, der Separatismus deiner Gefühle.
Die Patrouillen greifen die sinkenden Boote auf.
Was flüstert man, ein Geheimnis, YAKUZA, JACUZZI
Das fordert Vergeltungsmaßnahmen heraus.
Diese leichtbewegten, Gedanken ans Einfachste
Ein Gestade ohne Besitz... Wie liegt es
Überhaupt da in der scharfen See
Ein unabhängiges Weiß. Ergib dich, Inselchen
Schüttle die Flüchtlinge ab, die schmächtigen Ziegen
Erkenne die Ordnung an
Reiße deine Petersilie aus
   Und empfange die Panzerreiter.

/
THÉÂTRE DE VERDURE EN AUTOMNE
L'art est parti. La nature qui prend froid
Boucle la saison. Et tous les décors
Lui appartiennent, élimés de surcroît.
La brume entre en scène. Elle recourt encore
Aux vieux procédés du drame classique.
Vols de corneilles : des divas par douzaines.
Soleil fauve pour l'éclairage scénique.
Non qu'il rechigne aux ultimes travaux :
Le feuillage flamboie de toutes ses veines
Puis le premier givre réclame des bravos.

(Rheinsberg)

HECKENTHEATER IM HERBST
Fort ist die Kunst. Die fröstelnde Natur
Spielt die Saison zuende. Die Kulissen
Gehören ihr und sind zudem zerschlissen.
Auftritt der Nebel. Das bedeutet nur
Sie setzt die Mittel ein, die immer liefen.
Die falbe Sonne ist das Arbeitslicht.
Und Krähenschwärme wie zwei Dutzend Diven.
Nicht daß es ihr an letzter Kraft gebricht:
Noch einmal ist das Laub illuminiert
Bevor der erste Reif nach Beifall giert.

Volker Braun, Poèmes choisis, traduit de l'allemand par Jean-Paul Barbe et Alain Lance. Édition et préface d'Alain Lance, ollection Poésie/Gallimard (n° 536), Gallimard, 2018, 192 p., 8,30€, pp. 61/62, 131 et 143.
Fiche du livre sur le site de l’éditeur ;
Une note de lecture de la revue En attendant Nadeau.
Volker Braun dans Poezibao :
extrait 1, extrait 2, extrait 3, Phrase sans fond (parution), extraits 4, extrait 5, rencontre avec le poète, ext. 6, ext. 7, [anthologie permanente] & [Carte Blanche] Bertolt Brecht & Volker Braun, (anthologie permanente) Volker Braun sur la mort de Mohamed Ali/Cassius Clay, (Note de lecture), Volker Braun, Poèmes choisis, par Claude Adelen


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