[Critique] BIENVENUE À MARWEN
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Titre original : Welcome to Marwen
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Robert Zemeckis
Distribution : Steve Carell, Leslie Mann, Eiza Gonzalez, Diane Kruger, Gwendoline Christie, Merritt Wever, Janelle Monáe, Siobhan Williams…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 2 janvier 2019
Le Pitch :
Illustrateur talentueux, Mark Hogancamp se fait sauvagement agresser par cinq hommes qui le laissent pour mort sur un parking. Miraculeusement sauvé, il se réveille amnésique et doit totalement se reconstruire. C’est alors qu’il commence à construire dans son jardin une réplique d’un village belge durant la Seconde Guerre mondiale, se mettant lui-même en scène, ainsi que ses proches et ses agresseurs, au fil de scénettes qu’il photographie ensuite. Histoire vraie…
La Critique de Bienvenue à Marwen :
Il fut un temps où Robert Zemeckis était reconnu comme l’un des grands réalisateurs du cinéma américain. Son nom étant souvent accolé à celui de Steven Spielberg. Célébré pour des œuvres comme Retour vers le futur et ses deux suites ou encore Forrest Gump et Seul au Monde, il est aujourd’hui toujours largement reconnu comme le génie qu’il est, mais son audience a baissé. Inexplicablement, alors que d’autres grands noms des années 80 évoluant plus ou moins dans le même registre, comme Joe Dante, se sont successivement heurtés aux nouveaux standards d’une industrie parfois carnassière, Zemeckis lui, a continué à nager à contre-courant, parvenant à sortir des films et à fédérer des stars mais ne réussissant plus à pulvériser les scores au box-office comme jadis. Ainsi, aujourd’hui, alors qu’il est de retour chez Universal (avec qui il n’avait plus travaillé depuis La Mort vous va si bien), Zemeckis s’est à nouveau pris un soufflé, tragiquement incapable d’attirer le public en masse dans les salles, qui lui a préféré par exemple James Wan et son bruyant et flashy Aquaman… Dommage… Surtout qu’on parle avec Bienvenue à Marwen de l’une de ses plus éblouissantes réussites…
Retour sur le front
Bienvenue à Marwen s’inspire de l’histoire de Mark Hogancamp. Un homme violemment agressé, qui, afin de se reconstruire, se fit connaître grâce à ses étonnantes reconstitutions de scènes de la Seconde Guerre mondiale. Un récit parfait pour Robert Zemeckis, qui en profite donc pour nous offrir une émouvante réflexion sur le rôle de l’art et sa fonction salvatrice. Art ici opposé à la violence d’un monde que le scénario n’élude pas, bien au contraire. On reconnaît à nouveau la propension de Zemeckis à organiser le combat entre le bien et le mal, au sein d’une dynamique à la fois naïve, car totalement dénuée de cynisme, mais aussi parfois cruellement réaliste et âpre. Souvent le cinéaste a confronté ses héros à la bêtise, à l’intolérance et à cruauté, pour mieux ensuite mettre en exergue leur propension à se guérir, à évoluer puis à s’élever. Et ce qui était valable hier pour Forrest Gump l’est toujours aujourd’hui pour Bienvenue à Marwen, dont le personnage principal utilise son art, en faisant preuve d’une résilience et d’une inventivité inouïes, sans même sembler s’en rendre compte.
Puppet master
Bienvenue à Marwen vient tout naturellement s’insérer dans l’œuvre de Zemeckis. Un film gracieux, poétique, à fleur de peau, dont le discours ne force jamais le passage, préférant avoir recours à de multiples métaphores et autres allégories pour mieux toucher au vif. Encore une fois, Zemeckis en profite pour exploiter les technologies les plus abouties pour servir son histoire. Bienvenue à Marwen, tout comme Forrest Gump et ses superbes mais discrets effets-spéciaux (les parties de ping-pong, les apparitions de JFK ou John Lennon, etc.), ou encore Beowulf, fait preuve d’une bravoure constante et d’une intelligence probante quand il s’agit de s’appuyer sur les dernières innovations pour mieux incarner ses idées. La narration se nourrit de la technique et non l’inverse. Ici, la performance capture permet de donner vie aux poupées que le personnage de Steve Carell fait évoluer au sein de ce fameux décors du petit village belge pendant la guerre. Des poupées à l’effigie de Carell donc, mais aussi de Leslie Mann et Eiza Gonzalez, protagonistes d’une reconstitution où tout est possible, amenée à se télescoper avec la réalité afin d’en adoucir l’amertume. Ce qui fonctionne dans la vie de Mark fonctionne aussi dans le film, à savoir que les scènes avec les poupées expriment des non-dits et des choses refoulées et viennent combler les espaces volontaires d’un scénario beaucoup plus complexe qu’il n’en a l’air et pourtant sans cesse plus limpide. Du coup, maître de son récit, Zemeckis se paye le luxe d’aller et venir dans le temps sans avoir recours à une quelconque linéarité, illustrant une virtuosité intacte et toujours plus impressionnante.
Il était une fois en Belgique
Il est rapidement évident, devant tant de maîtrise, que ce soit au niveau de la mise en image, de l’écriture ou de la direction d’acteurs, que Robert Zemeckis devait réaliser ce film et ainsi raconter, cinématographiquement parlant, l’extraordinaire histoire de Mark Hogancamp. Tout ici s’imbrique à merveille alors qu’au fil des minutes se dessine une réflexion face à laquelle il est difficile de rester de marbre. On pourra toujours argumenter que quelques ruptures de ton, comiques notamment, ne sont pas aussi fluides qu’espéré mais c’est bien tout, tant Bienvenue à Marwen brille par sa virtuosité constante et sa générosité. Même constat du côté des acteurs, qu’ils incarnent la version en chair et en os de leur personnage où leur version de plastique. Steve Carell est parfait, tout en sensibilité, émouvant à plus d’un titre, et Leslie Mann trouve l’un des meilleurs rôles de sa carrière. Il faut d’ailleurs saluer l’intégralité du casting. Tout le monde trouve sa place.
Le fond et la forme
Sur tous les fronts, Robert Zemeckis offre un spectacle également très enthousiasmant, s’amusant (et nous avec) avec ses poupées, sans jamais perdre de vue l’objectif global et la finalité de la démarche. Spectaculaire et inventif, son nouveau film est aussi une déclaration d’amour aux femmes, dont le rôle consiste ici à reconstruire, à réconforter, à guérir et plus généralement à opposer à la barbarie du monde une farouche résistance. Loin de s’appuyer de manière opportuniste sur des thématiques liées aux récents débats qui ont fait suite aux multiples affaires ayant secoué l’industrie du cinéma, Zemeckis n’hésite par contre pas à rendre homme à celles qui rendent le monde plus beau. Quand il met en scène l’escadron des femmes de Marwen, qui, armées jusqu’aux dents, dézinguent des Nazis à la chaîne ou lorsqu’il filme Merritt Wever en train de tenter de percer la carapace de Steve Carell, qui de son côté se rassure en justement se réfugiant dans un monde uniquement habité par des femmes, Zemeckis fait preuve d’un admirable sens de la mesure. À tel point que si certaines choses auraient pu sonner bizarrement chez d’autres, ici, il n’en est rien et Bienvenue à Marwen fait valoir ses arguments, dans une tendresse permanente, alors que sans cesse, le mal lance des assauts et que la lumière, croissante, perce les ténèbres…
En Bref…
Magnifique récit de reconstruction, porté par une somme folle de thématiques parfaitement intégrées et illustrées, Bienvenue à Marwen est un grand film. Une œuvre intelligente et généreuse, qui voit Robert Zemeckis, au sommet de son art, faire preuve d’une virtuosité probante qui fait bien sûr un bien fou. Surtout qu’ici, ce dernier se permet de s’autociter, pour le plus grand plaisir des amateurs de son cinéma.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Universal Pictures International France