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Alain Mabanckou : Les cigognes sont immortelles

Par Gangoueus @lareus
Alain Mabanckou, auteur du roman Les cigognes sont immortelles (Ed. Seuil)

Préambule 1

Quand je suis rentré au Congo à l’âge de neuf ans dans les bagages de mes parents, anciens étudiants congolais en France, j’ai découvert le pays de Marien. C’était en 1983, l’un des premiers noms qu’un petit congolais découvrait : L’immortel Marien Ngouabi. Dans ces années-là, le Congo était encore marxiste, plongé dans des plans quinquennaux avant que les plans d’ajustement structurels viennent déstabiliser les républiques populaires africaines. En ces années, on était pionniers, on chantait l’hymne national à la levée du drapeau le lundi matin, le foulard rouge autour du cou. Le Congo de Marien…

Préambule 2

Je suis Alain Mabanckou depuis plusieurs années. Depuis Bleu Blanc Rouge. J’ai tout lu de ce romancier, excepté sa poésie et un polar. Nul n’est parfait. Je vous ai déjà dit que Verre cassé était un de mes livres préférés pour moult raisons sur lesquelles je pourrai revenir si vous avez envie d’interagir à cet article. Il est une réalité, c’est qu’Alain évitait soigneusement d’aborder la question politique congolaise dans son oeuvre littéraire.  Préférant soigner ses personnages, s’ancrer de plus en plus dans l’histoire familiale, brossant chaque fois un peu plus le portrait de Pauline Kengué, sa mère. Je peux me tromper, et vous me contredirez surement, mais c’est dans Lumières de Pointe-Noire que Mabanckou commence à produire un discours un peu plus critique et subversif sur la gouvernance congolaise. La visite de sa cousine à l’Hôpital A Cissé est restée dans mon esprit comme une composante du drame congolais : des hôpitaux mouroirs à quelques kilomètres des plateformes pétrolières… Ou cette misère que l’on sent dans cette rue Louboulou…

Les cigognes sont immortelles

Naturellement, on se demande toujours si un écrivain va nous surprendre ou reprendre la même rengaine : dans la forme de l’écriture ou dans les thèmes de discours. A force, on finit par reconnaître le son de certaines voix. Je pensais que cela allait être le cas avec ce roman qui résume trois journées de l’histoire de la république populaire du Congo. Le 18, le 20 et le 21 mars 1977. Le 18 mars 1977 étant la date de l’assassinat du président congolais, le commandant Marien Ngouabi, mort l’arme au poing. Un assassinat orchestré par les valets locaux de l’impérialisme et du néocolonialisme. Je souris en écrivant cette dernière phrase qui a conditionné mon adolescence. Michel est plus âgé que moi. Il a donc vécu cet événement à la hauteur de ses 11 ans, si on considère que ce texte est une sorte d'auto-fiction et qu’il met en scène Alain Mabanckou, enfant. La première phase du roman voit l’enfant solitaire Michel en discussion avec Papa Roger. Ils écoutent ensemble la voix de l’Amérique pour se défaire de la propagande de masse de la Voix de la Révolution congolaise, la radio du pays. Michel parle de son chien fugueur qui cause des problèmes. Il évoque sa scolarité. Le clan familial. Sa mère. On découvre une femme de caractère, explosive, déterminée. Il est une photo que Mabanckou aime partager sur son mur Facebook où on le voit avec ses parents dans un bar. Lui, doit avoir 11 ans… Au fil de son oeuvre, depuis Verre cassé, la figure de Pauline grandit, se précise, s’affine.

La voix de l’enfant

Je discutais récemment avec mon oncle qui a lu ce roman le temps d'un vol Brazzaville-Paris. Il me dit combien il fut estomaqué par la voix de l’enfant. La simplicité et à la fois complexité du texte.  Accessibilité du texte. Regard d’un lecteur non averti. Il me semble que la première partie du roman a pour objectif de nous habituer à cette voix de l’enfant. Ici, les jeux liés à l'intertextualité n’ont pas de place. Il décrit avec humour et fausse naïveté la transposition au Congo de la propagande soviétique et ses fameuses cigognes… Je me suis reconnu dans cet enfant. J’ai été pionnier de la révolution congolaise. Et les images qu’il évoque, la visite des présidents du bloc communiste comme Nicolae Ceauscecu, Fidel Castro, me rappelait la préparation des mouvements gymniques et autres délires de la sorte. L’annonce du décès de Marien Ngouabi intervient dans cette journée. Sidération, confusion, deuil. Michel est autant préoccupé par la disparition de son chien que par le contexte tendu qui règne dans le pays. Quand Tonton René débarque avec deux oncles venus de Brazzaville, Michel va avec son regard d’enfant réalisé que la violence politique vient de frapper sa famille. Les mots d’Alain Mabanckou sont justes. Pour parler du deuil impossible suite à un assassinat politique. Celui du capitaine Kimbouala-Nkaya, officier supérieur tué lors de son arrestation.
Il fallait oser traiter cette violence politique. Aimé Mambou Gnali s’était prêtée à cet exercice  en évoquant clairement la figure charismatique de Lazare Matsocota dans son roman Beto no béto, le poids de la tribu. L’intellectuel fut assassiné en 1963 avec deux autres hauts cadres congolais. Le 18 mars 1977 et les jours qui suivront deux présidents congolais, un cardinal, des officiers supérieurs de l’armée congolaise vont être assassinés. Les mots de l’enfant pour décrire le deuil étouffé de sa mère sont d’une profonde puissance. Et, si ce livre me touche autant, c’est surtout parce que cette violence politique est toujours d’actualité, perpétrée par les mêmes acteurs.
En attendant ça, Maman Pauline sanglote encore plus. Elle disparait dans la chambre, et moi je sais déjà que c’est pour aller verser des larmes, plus nombreuses et plus chaudes, car on vient de toucher à ce qu’elle aime le plus : son commerce en gros de régimes de bananes. Et quand je pense à ces larmes plus nombreuses et plus chaudes qui couleront sur ses joues, j’ai aussi envie d’aller dans ma chambre, je sens mes propres larmes arriver.   Elles vont couler  comme celles de Maman Pauline, mais plus nombreuses, plus chaudes, pas seulement parce que le commerce de ma mère est foutu pour de bon à cause de la mort du camarade président Marien Ngouabi, pas seulement parce que l’oncle Kimbouala-Nkaya vient d’être assassiné en présence de sa femme et de ses enfants, mais aussi, et ça personne ici le sait,  parce que je ne comprends pas pourquoi mon chien n’est pas revenu à la maison alors qu’il y a couvre-feu partout…
Les cigognes sont immortelles, Alain Mabanckou, p.141
L’histoire du Congo qui percute une famille. Une histoire narrée à hauteur du regard d’un enfant rêveur. Exercice de style réussi, mais surtout un texte sensible et accessible. A découvrir. 
Alain Mabanckou, Les cigognes sont immortellesEditions du Seuil, 293 pages, première parution en 2018
Source photo - ActuaLitté


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