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Incendies de Wajdi MOUAWAD

Par Lecturissime

Incendies de Wajdi MOUAWAD

Quand le notaire Lebel lit aux jumeaux Jeanne et Simon le testament de leur mère Nawal, ils découvrent avec surprise qu'ils ont un frère et que leur père qu'ils croyaient mort est vivant. Leurs destins se trouvent bouleversés par ces révélations qui les poussent vers la découverte de leur identité. Ils remontent alors aux sources de leur enfance, lors de la guerre civile au Liban.

En 2011, lors d'une rencontre avec Josée Lambert, une photographe québécoise, Wajdi Mouawad entend parler de Souha Bechara, militante libanaise pendant la guerre civile qui a tenté, en 1988, s'assassiner Antoine Lahad, chef des milices chrétiennes du Sud Liban. Elle fut alors incarcérée pendant dix ans dans une prison. Ce témoignage et l'histoire de cette femme touche profondément Wajdi Mouawad : lui aussi a passé son enfance au Liban qu'il quitte à l'âge de 8 ans pour échapper aux conflits qui s'intensifient entre les communautés de son pays. A partir de cette femme, il imagine le portrait de Nawal. Nawal est cette femme qui cherche à casser le fil de la haine, le cercle infernal de la violence, parce que sa grand-mère lui a ordonné d'apprendre à lire et écrire pour sortir de la misère et de la haine.
"Nous, [...] les femmes de notre famille, sommes engluées dans la colère depuis si longtemps ; j'étais en colère contre ma mère et ta mère est en colère contre moi tout comme tu es en colère contre ta mère. Toi aussi tu laisseras à ta fille la colère en héritage. Il faut casser le fil. Alors apprends... apprends à lire, à écrire, à compter, à parler : apprends à penser. Nawal. Apprends."

"Nous n'aimions pas la guerre ni la violence, nous avons fait la guerre et avons été violents. A présent , il nous reste encore notre possible dignité. Nous avons échoué en tout, nous pourrions peut-être sauver encore cela : la dignité."

L'écriture est un moyen pour l'auteur de retrouver le monde, un monde arraché par la guerre, par l'Histoire, les mots permettant de se lover à nouveau dans le monde de l'enfance et de l'enchantement.

"J'ai compris qu'il fallait choisir : ou je défigure le monde ou je fais tout pour le retrouver."

L'importance de la parole, du dialogue est en effet au centre du récit. Quand Hermile raconte un élément clé de la vie de Nawal que les enfants ne connaissent pas, Jeanne demande pourquoi Nawal lui a raconté cela, à lui, et non à eux. A quoi l'homme répond "Parce que je lui ai demandé !". Les êtres se livrent à ceux qui écoutent, non à ceux qui redoutent la parole. Cette parole est nécessaire pour dire, pour comprendre. Les discussions entre Nawal et Nawda agissent comme un miroir : deux faces, deux choix face à la guerre. Deux personnages que l'on comprend, que l'on approuve et désapprouve, dont les arguments résonnent en nous. N'est-il pas préférable dans ce cas de ne haïr personne, de ne pas prendre parti car "Tout parti est faillible et possible, aveugle et cohérent, rival et né d'un même sang." (postface Charlotte Farcet) ?

"Au journaliste qui me demandait quelle était ma position dans le conflit du Proche-Orient, je n'ai pas pu lui mentir, lui avouant que ma position relevait d'une telle impossibilité que ce n'est plus une position, c'est une courbature. Torticolis de tous les instants.
Je n'ai pas de position, je n'ai pas de parti, je suis simplement bouleversé car j'appartiens tout entier à cette violence. Je regarde la terre de mon père et de ma mère et je me vois, moi : je pourrais tuer et je pourrais être des deux côtés, des six côtés, des vingt côtés. Je pourrais envahir et je pourrais terroriser. Je pourrais me défendre et je pourrais résister et, comble de tout, si j'étais l'un ou si j'étais l'autre, je saurais justifier chacun de mes agissements et justifier l'injustice qui m'habite, je saurais trouver les mots pour dire combien ils me massacrent, combien ils m'ôtent toute possibilité à vivre.
Cette guerre, c'est moi, je suis cette guerre. C'est un "je" impersonnel qui s'accorde à chaque personne et qui pourrait dire le contraire ? Pour chacun le même désarroi. Je le sais. J'ai marché toute la nuit à la faveur de la canicule pour tenter de trouver les mots, tous les mots,tenter de dire ce qui ne peut pas être dit. Car comment dire l'abandon des hommes par les hommes ? Ébranlés, ébranlés. Nous sommes ébranlés car nous entendons la marche du temps auquel nous appartenons et aujourd'hui, encore, l'hécatombe est sur nous.
Il n'y a que ceux qui crient victoire à la mort de leurs ennemis qui tirent joie et bonheur de ce désastre. Je ne serai pas l'un d'entre eux même si tout concourt à ce que je le sois. Alors justement, comment faire pour éviter le piège ? Comment faire pour ne pas se mettre à faire de la politique et tomber ainsi dans le discours qui nous mènera tout droit à la détestation ?
Je voudrais devenir fou pour pouvoir, non pas fuir la réalité mais, au contraire, me réclamer tout entier de la poésie. Je voudrais déterrer les mots à défaut de ressusciter les morts. Car ce n'est pas la destruction qui me terrorise, ce ne sont pas même les invasions, non, car les gens de mon pays sont indésespérables malgré tout leur désespoir et demain, j'en suis sûr, vous les verrez remettre des vitres à leurs fenêtres, replanter des oliviers, et continuer, malgré la peine effroyable, à sourire devant la beauté. Ils sont fiers. Ils sont grands. Les routes sont détruites ? Elles seront reconstruites. Et les enfants, morts dans le chagrin insupportable de leurs parents, naîtront encore. Au moment où je vous écris, des gens, là-bas, font l'amour. Obstinément.
Je les connais. Ils ont trouvé une manière de gagner qui consiste à perdre et cela dure depuis 7000 ans (...) Ce qui est terrifiant, ce n'est pas la situation politique, c'est la souricière dans laquelle la situation nous met tous et nous oblige, face à l'impuissance à agir, à faire un choix insupportable : celui de la haine ou celui de la folie."

Un texte essentiel, pur, dur, pour aller au-delà de la haine... Enfin.


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