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Octavio Paz – Mise au net

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Octavio Paz – Mise au netEntendus avec l’âme,
des pas de l’esprit plutôt qu’ombres,
et ombres de la pensée plutôt que pas,
le long d’un chemin d’échos
que la mémoire invente, puis efface :
sans marcher, ils marchent
sur ce maintenant, pont
tendu entre une lettre et l’autre.
Comme bruine sur braises,
au fond de moi les pas s’avancent
vers des lieux qui soudain deviennent de l’air.
Noms : ils s’arrêtent,
et disparaissent, entre deux mots.
Le soleil chemine sur les décombres
de mes dires, le soleil rase les sites,
à peine ont-ils confusément
émergé de l’aube de cette page
le soleil ouvre mon front,
  balcon sur l’abîme
intérieur.

  Je m’éloigne de moi-même,
à la suite de cette phrase titubante,
sentier de pierres et de chèvres.
Les mots luisent dans l’ombre.
Et la noire marée des syllabes
couvre le papier, elle enterre
leurs racines d’encre
dans le sous-sol du langage.
Hors de mon front, je sors dans un midi
à la dimension du temps.
Les siècles de l’assaut du banyan
contre la patience verticale du mur
sont moins longs que cette bifurcation
instantanée de la pensée
entre le pressenti et le perçu.

(…)

*

Pasado en claro

Oídos con el alma,
pasos mentales más que sombras,
sombras del pensamiento más que pasos,
por el camino de ecos
que la memoria inventa y borra:
sin caminar caminan
sobre este ahora, puente
tendido entre una letra y otra.
Como llovizna sobre brasas
dentro de mí los pasos pasan
hacia lugares que se vuelven aire.
Nombres: en una pausa
desaparecen, entre dos palabras.
El sol camina sobre los escombros
de lo que digo, el sol arrasa los parajes
confusamente apenas
amaneciendo en esta página,
el sol abre mi frente,
  balcón al voladero
dentro de mí.

  Me alejo de mí mismo,
sigo los titubeos de esta frase,
senda de piedras y de cabras.
Relumbran las palabras en la sombra.
Y la negra marea de las sílabas
cubre el papel y entierra
sus raíces de tinta
en el subsuelo del lenguaje.
Desde mi frente salgo a un mediodía
del tamaño del tiempo.
El asalto de siglos del baniano
contra la vertical paciencia de la tapia
es menos largo que esta momentánea
bifurcación del pesamiento
entre lo presentido y lo sentido.

(…)

*

A draft of shadows

Heard by the soul, footsteps
in the mind more than shadows,
shadows of thought more than footsteps
through the path of echoes
that memory invents and erases:
without walking they walk
over this present, bridge
slung from one letter to the next.
Like drizzle on embers,
footsteps within me step
toward places that turn to air.
Names: they vanish
in a pause between two words.
The sun walks through the rubble
of what I’m saying; the sun
razes the places as they dawn,
hesitantly, on this page;
the sun opens my forehead,
  balcony
perched within me.

  I drift away from myself,
following this meandering phrase,
this path of rocks and goats.
Words glitter in the shadows,
and the black tide of syllables
covers the page, sinking
its ink roots
in the subsoil of language.
From my forehead I set out
toward a noon the size of time.
A banyan’s centuries of assault
on the vertical patience of a wall
last less than this brief
bifurcation of thought:
the seen and the foreseen.

(…)

México y Cambridge, Mass,
del 9 de septiembre al 27 de diciembre de 1974.

***

Octavio Paz (1914-1998)Pasado en claro (Mise au net, 1974) – Extrait du poème « Pasado en claro » – Œuvres poétiques

(Pléiade, Gallimard, 2008) – Traduit de l’espagnol (Mexique) par ? – The Poems of Octavio Paz
(New Directions, 2012)
– Translated from the Spanish by Eliot Weinberger.


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