Avec ces poèmes de John Freeman, vous ferez un tour du monde : Rocklin, Beyrouth, Californie, Sarajevo, Alger, Dubaï, Damas, Manhattan, New York, Montréal, Paris. En chaque ville, une image gravée dans la mémoire, la sienne ou celle de quelqu’un d’autre. En chaque endroit, comme si vous y étiez avec lui, à tenter de cartographier la souffrance, de partager un peu de la vie des autres et de leurs errances, les fleurs des fleuristes avant l’ouverture des boutiques…
SARAJEVO (ÉTÉ 2016)
Elle a montré quelque chose, à deux cents mètres : là. J’avais
quinze ans. On buvait du vin devant
une librairie. Le bombardement a duré
toute la nuit. Le coucher de soleil vermeil, le fleuve
tout près. Le théâtre était si plein
que les gens s’asseyaient sur les genoux les uns des autres.
Les bombes tombaient à côté de nous toutes
les deux minutes, des morceaux de la scène explosaient.
Je suis adossé à une voiture, métal
froid, vitres teintées. Les acteurs,
me dit-elle, n’ont pas bronché, pas raté
la moindre réplique. Les spectateurs
n’ont pas bougé, pas
fait un bruit.
Tu es ici ; tu as survécu ;
et tu es là-bas —
le sol secoué, les rues éventrées —
tu assistes à une pièce de théâtre
qui dure, pour l’éternité.