Tous les matins du monde, ma fille me réclame à cor et à cris "une poupée qui dit oui" quand on effleure son nombril. Et à chaque fois, je lui souris pour ne pas lui dire que pour sa maman, c'est hors de prix, ou qu'elle a bien d'autres soucis un peu plus riquiqui : comme le sel, le sucre, et le beurre.
Au lieu d'observer quelque repli, elle a enfilé ce matin un gilet jaune pour que je sois un peu plus à sa merci. Je l'ai même entendue dire à son petit frère de casser quelque chose dans la maison pour provoquer un court-circuit.
Elle sait, et je ne sais comment elle l'a su, que pour se faire entendre, il faut faire du bruit, pour secouer les âmes endormies.
Elle ne comprend ni pourquoi, ni comment, je peux dire non à une poupée qui dit oui. Qu'est ce que je dois comprendre que je n'ai pas encore compris : qu'aucune vie ne mérite qu'on lui sacrifie toutes ses envies, surtout celle qui est vivement ressentie... La poupée qui dit oui, on ne peut lui dire : non merci. C'est inaudible, c'est inouï. C'est un ressenti qui ne supporte pas l'interdit. Toute sa petite raison est submergée par d'innombrables comparaisons. Les poupées de ses copines ne se contentent pas de dire oui, elles font même de l'esprit. Elles entretiennent une conversation. Elles fournissent des renseignements. Elles vous chantent votre chanson... Elles poussent le vice jusqu'à vous rendre service ou répondre à la plupart de vos caprices. Elles vous scient avec la robotique et toute sa panoplie. Autrement dit : sa demande est bien pauvre, comparée à tout ce que le marché recommande à ceux qui sont de plus en plus riches dans le monde.
Je ne peux tout de même pas lui dire : ne pas jouir ou souffrir, il faut choisir. Entre le beurre et le leurre, c'est indécent... C'est ton humble avis, le sens de tout le mouvement des gilets jaunes : dire non à ceux qui disent oui à l'indécence... Non, à la distance qui sépare la suffisance de l'insuffisance. Non, à la promesse de bonheur. On réclame désormais sa présence.
Chacun se prend pour le nombril du monde. Et même si vous appuyez dessus comme le font tous les politiques aux abois, elle vous dira : non, non et non. C'est loupé parce que je ne suis pas une poupée. C'EST UNE FAIM SANS FIN.
PS : La Nietzschéenne qui gère tout mon arsenal numérique, a un cancer du sein. Dès qu'elle se fera opérer, je réapparaitrais à l'image pour vous décliner mes leçons de choses de vive voix.