Le matin est un tigre de Constance Joly 4/5 (06-01-2019)
Le matin est un tigre (153 pages) est disponible depuis le 9 janvier 2019 aux Editions Flammarion.
L'histoire (éditeur) :
Depuis quelques mois, la vie d’Alma se hérisse de piquants. Sa fille souffre d’un mal étrange et s’étiole de jour en jour. Tous les traitements échouent, et les médecins parlent de tumeur. Mais Alma n’y croit pas. Elle a l’intuition qu’un chardon pousse à l’intérieur de la poitrine de son enfant. On a beau lui dire – son mari le premier – que la vie n’est pas un roman de Boris Vian, Alma n’en démord pas. À quelques heures d’une opération périlleuse, son intuition persiste. Il ne faut pas intervenir. C’est autre chose qui peut sauver sa fille… Elle, peut-être ? Dans une langue merveilleusement poétique et imagée, Constance Joly met en scène l’histoire de ce que l’on transmet, malgré nous, à nos enfants. Le matin est un tigre parce que, certains jours, la vie est un combat et qu’il faut bien arriver à s’en débrouiller.
Mon avis :
« Depuis quand Alma se sent-elle comme ça ? vide ? Au bord du monde ? Comme si elle penchait légèrement ? Elle ne sait pas dater exactement, même si elle situe le moment à la fin de l’enfance. (…)
Alma avait perdu sa densité.
« Et depuis six mois que Billie va mal, le monde lui-même, semble se brouiller. Les ombres glissent, es contours s’estompent. Alma se réveille souvent la nuit avec des aiguilles dans les pieds, le cœur affolé, piégé dans ses côtes et du coton dans la bouche. (…)
Alma a l’impression que tout ce qui s’agite autour d’elle, et qu’on appelle la vie, lui échappe. » page 13-14
Alma Calet, bouquiniste mal dans sa peau et sujette aux crises de panique, vit depuis six mois dans l’angoisse (encore plus cotonneuse que d’habitude), depuis que sa fille, Billie, est atteinte d’un mal étrange que personne n’arrive à expliquer.
Seule solution pour venir à bout de ce que les médecins pensent être une tumeur : l’opération. Impensable cependant pour Alma qui sait, au plus profond d’elle, l’acte chirurgical comme une condamnation. Mais comment soigner ce chardon qui pousse en elle ? Et comment se débarrasser des poids (ses valises) qui viennent alourdir sa vie ?
« Alma a alors regardé sa main droite : une autre valide était apparue. Noire. Brillante, Neuve. Il y avait marqué dessus « Ma fille est hospitalisée. » Allons bon, s’est-elle dit. Il va me falloir des forces. » Page 29
Une écriture douce mais dure, poétique et tranchée, qui parle du mal être inconnu dont souffre Billie mais plus encore d’Alma qui se noie dans sa vie.
« Alma a une pensée brève pour les parents du petit. Mais son muscle compassionnel est engourdi. Elle a elle-même ses valises, et ça lui suffit bien ? Penser à celles des autres l‘épuise ? Page 37
« Un moment aussi suave qu’un sucre sous la langue. Il y a des instants comme ça, où Alma retrouve un sentiment intact de joie. Mais le téléphone sonne, la vie vous rappelle toujours qu’elle n’est pas un sucre. Non, non merci, elle n’a besoin de rien, surtout pas de baies vitrées. Juste de comprendre ce qui arrive à sa fille. Juste de sortir de l’étang où les carpes ouvrent la bouche pour lui crier des messages muets. » Page 39
« A l’aube, sa première pensée est que la nuit est achevée. Elle est derrière elle, et c’est une victoire. Le jour a écarté l’obscurité de quelques centimètres, l’aube est fine comme une herbe, un trait rose clair contre l’horizon, une couleur chocolat au lait très pâle. » Page 146
Des mots qu’on souligne à toutes les pages, des chapitres qui marquent, qui touchent fort le cœur et l’âme
« Ils vont à la fête foraine et font tous les trois un tour de grand huit. Alma est verte de peur. Billie et Jean hurlent de joie. Ces moments sont comme des envolées de confettis. Mais les confettis détrempés de pluie s’amoncèlent, le lendemain, dans le cœur d’Alma. Elle redoute la fin de la fête. » Page 46
Une tension lancinante et une panique sourde qui finit par devenir criante.
« Leurs regards se croisent comme des lames. Ensemble, ils voient le soleil se lever derrière le lilas. Un soleil qui a du noir dans l’aile. » Page 48
Mais aussi beaucoup de positif, ces moments partagés avec sa fille, à occuper le temps, ces petits riens juste à elles, ces moments de réflexions sur la vie, ces prises de conscience, cette solitude nécessaire pour vaincre le manque de confiance et se reconquérir (autant que la vie).
« Il est temps de s’affirmer. Alma vi encore tapie au fond d’elle-même, comme l’enfant solitaire qu’elle était. » Page 150
« La solitude est un privilège, pas une malédiction. Le froid, la terreur, l’isolement ne sont plus ces loups qui guettent Alma de leurs yeux de ténèbres. Ou plutôt, Alma les a vaincus, avec son bric-à-brac d’apprentie fugueuses, et sa ferveur. Elle a survécu à sa peur, son chagrin et à sa nuit. Je peux compter sur moi je suis prête, désormais, et j’ai confiance en Billie, affirme-t-elle à voix haute pour donner à ses paroles une épaisseur, et les voir flotter au-dessus d’elle. Si confiance, que tous les tigres des jungles du monde entier ont du souci à se faire. » Page 151
Voilà, entre autres, tout ce qui m’a fait aimer ce court roman. Premier roman poétique et tellement sensible qui parle de mère/fille, lien invisible et pourtant surpuissant, Le matin est un tigre tend le lecteur à réfléchir aux limites de la relation maternelle fusionnelle et à qu’on peut transmettre de manière imperceptible à nos enfants. Et si le mal inconnu de Billie n’était autre que le mal être d’Alma étouffant l’adolescente au point de la rendre malade physiquement ?
Le matin est un tigre est un très bon roman aussi bien dans le fond que dans le forme. Alma m’a énormément touchée. Cette mère dépressive qui a peur de tout, son couple qui va mal, le mal de Billie, adolescente hyper empathique et sensible, tout m’a parlée. J’ai été sensible aux mots de l’auteure qui déploie là énormément de poésie. Elle parle de la vie, de la maladie de l’une, de la folie de l’autre (une peur, en vérité) et du mur qui s’érige dans le couple avec sensibilité et force.