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(Anthologie permanente) Trois poètes de Taïwan

Par Florence Trocmé

Les éditions Circé viennent de publier trois livres dédiés à la poésie de Taïwan. Il s’agit d’ Une lampe dans la forêt dense de Zhou Mengdie, de Le Passe-Muraille de Hung Hung et de Je te l’ai déjà dit de Chen Yuhong.
Poezibao propose aujourd’hui un extrait de chacun de ces livres.
Zhou Mengdie1. Zhou Mengdie, Une lampe dans la forêt dense, poèmes choisis et traduits du chinois (Taïwan) par Alain Leroux
Cendres

         L'homme, même au plus fort de la joie, ne peut faire durer
         son ivresse ; alors, il pense à la souffrance.
         Goya
Ils ont été réduits en cendres
Le jour des vœux et du crâne rasé
Brûlés sur le givre d'une feuille qui tournoyait
Très beau très soudainement
L'automne cette année-là, et le givre venu vraiment tôt !
Mais moi je suis accoutumé à la solitude et aux frimas ;
Je n'aime guère être dérangé, qu'on se colle à moi
Être mis en feu
Même si c'est par le plus tendre des incendies.
Peut-être est-ce le reproche du ciel. Peut-être sont-ce les restes brûlés d'un univers
Sortis d'une fumée froide.
La route est à faire et à faire, usée par la résignation des semelles !
Face à ces jours passés
Comme une dépouille après la mue
Qu'on reconnaît et ne reconnaît pas
Lorsqu'on tourne la tête. Sans savoir vraiment ce qui est le mieux
Les porter à ses lèvres, avec des larmes de remords et de joie ?
Ou les garder dans la distance, comme un miroir qu'on a traversé ?
Blessure insinuante, pénétrante :
Séparé par des montagnes plus éloignées à mesure que l'on va
Ils ont été réduits en cendres. Autrefois
Je fus le vent
Brûlé sur une feuille prise de givre et qui tournoyait.
Zhou Mengdie, Une lampe dans la forêt dense, poèmes choisis et traduits du chinois (Taïwan) par Alain Leroux, 2018, 128 p., 12 €, pp. 74 et 75.
Lire la fiche du livre et la présentation de l’auteur sur le site de l’éditeur
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Hung hung2. Hung Hung, Le Passe-muraille, traduit du chinois (Taïwan) par Camille Loivier
Le thé des sherpas le sait *

   En l'honneur du cinquantième anniversaire de la résistance du Tibet

Un bouillon de thé au lait
Les lèvres tremblent
Pourquoi un rêve tendre s'enflamme-t-il encore
Le thé des Sherpas le sait
Ces caillots de sang congelés
Ont depuis longtemps perdu la couleur du sang
Ces indications touristiques collées sur les colonnes des temples
Le thé des Sherpas le sait
Le vélo glisse rapidement sur les dalles
L'enfant montre du doigt le pain derrière la fenêtre de la cuisine
Ceux qui ont aimé et n'ont pas eu le temps d'aimer
Le thé des Sherpas le sait
Ces berceuses intermittentes derrière la porte tournante
Ces rires et ces querelles en différentes langues
Ce qui est perdu et encore perdu
Le thé des Sherpas le sait
Un bol de thé refroidi enflamme à nouveau la gorge
Peu importe son nom, je connais bien son goût
Ceux qui ont combattu et veulent combattre encore
Le thé des Sherpas le sait
2009
*Sherpa, ethnie tibétaine de l'Himalaya. Le thé est traditionnellement un breuvage sacré pour stimuler dans le froid. (NdA)
Hung Hung, Le Passe-muraille, traduit du chinois (Taïwan) par Camille Loivier, 2018, 127 p. 12€, p. 72.
Lire la présentation du livre et de l’auteur sur le site de l’éditeur
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Chen Yuhong3. Chen Yuhong, Je te l’ai déjà dit, traduit du chinois (Taïwan) par Marie Laureillard
Les cloches sonneront-elles encore ?
Les cloches sonneront-elles encore ?
Le bac reviendra-t-il ?
Le train, le train passera-t-il encore ?
Une petite ville au bord d'un lac
Les cerisiers couverts de fleurs blanches
En juin, en juin dit-on
Les cerises juteuses seront très sucrées
Reviendrons-nous ?
Le temps attend toujours à la fenêtre
Immobile
Et le vent continue à souffler continue à souffler
Les fleurs délicates pétale après pétale
Juin viendra
Juin viendra
Les cloches sonneront-elles encore ?
Reviendrons-nous ?
*
Orchidée papillon blanche

Tu l'entends choir
Le froissement sec ressemblerait plutôt
À du papier, chiffonné et jeté
Tu la ramasses, tu lis
Les mots déjà indéchiffrables
Gracieux mais indéchiffrables
Pétales charnus incolores
Le cœur jaune clair n'a jamais reçu le baiser
D'un papillon
A-t-elle senti une perte légère
Et comme sa vie est passée
L'instant où elle a quitté la tige
Dans un chuchotement qui ressemble
À une litanie, écrite
À la fenêtre crépusculaire ?
Chen Yuhong, Je te l’ai déjà dit, traduit du chinois (Taïwan) par Marie Laureillard, 2018, 128 p., 12€, pp. 29 et 33.
On peut lire la présentation du livre et de l’auteur sur le site de l’éditeur.
Lire cette note de l’éditeur sur la présentation de sa collection Poésie de Taïwan qui compte désormais six ouvrages.


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