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Le journal d'un fou, d'après Nicolaï Gogol, mis en scène par Oskaras Korsunovas, avec Eimantas Pakalka

Publié le 01 février 2019 par Onarretetout

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Si l’on suit l’intention du metteur en scène, il faudrait voir en ce fou, raconté par Nicolaï Gogol, l’image des dictateurs issus du peuple et se laissant déborder par un délire dangereux pour le peuple. Mais c’est réduire le texte de Gogol, une courte nouvelle publiée en 1835 où un fonctionnaire chargé de tailler les plumes dans un ministère se prend, au bout d’une longue dérive, pour le roi d’Espagne et finit dans un asile de fous où il subit les mauvais traitements réservés aux fous au XIXe siècle.

Sans doute, le personnage, dont on ne connaîtra le nom qu’à la fin, interprète-t-il les marques sociales de travers. Le fait de tailler les plumes dans le bureau du directeur lui fait croire qu’il a les mêmes privilèges, et qu’il peut tomber amoureux de la fille du directeur. L’échelle sociale est alors sur ses pieds et on peut l’escalader. Mais quand arrivent les titres de noblesse dans le texte, nous savons qu’il se fourvoie alors qu’il reste persuadé du bien-fondé de son opinion. Les dates du journal ont disparu. Celui qui nous parle a perdu aussi ces repères. L’échelle va se renverser : il n’y verra aucun signe ; au contraire, c’est alors qu’il se désignera comme le roi d’Espagne. Et, quand on l’appellera, il refusera tous les noms, le sien propre d’abord, puis même celui de Ferdinand VIII. Il deviendra un sans-nom. Le metteur en scène a choisi ce moment pour le représenter comme un dictateur de comédie, mais dictateur quand même. Cela ne dure qu’un instant : tout est mis à bas. L’Espagne, dont il se dit le roi, n’est autre que la Chine : est-ce une simple illusion d’optique ou cela relève-t-il de ce qu’on nomme aujourd’hui théorie du complot ? Et lui à la fin, lui qui prétend entendre parler les chiens, lire leurs lettres, le voici nu dans une niche : c’est sa place dans une société qu’il ne faut pas déranger, où le directeur est le directeur, où la fille du directeur ne peut épouser qu’un homme de son rang. Le voici nu, donc, et c’est à ce moment qu’il en vient à appeler sa mère, « Maman, maman ! », cri déchirant dont on se dit qu’il est vain, qu’il arrive trop tard. Alors, il ne lui reste qu’à repartir dans son délire puisque ni la société ni sa mère ne peuvent plus rien pour lui. Parlons d’autre chose : du Bey d’Alger, par exemple.

En sortant du théâtre, un air de Giani Esposito m’est venu en mémoire : « Il y a de ces coups qu’on garde dans la tête / et le cerveau de jour en jour devient plus mou... »

J'ai vu ce spectacle au Théâtre-Studio d'Alfortville (94)


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