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Colson Whitehead : Underground Railroad

Par Gangoueus @lareus
Colson Whitehead : Underground Railroad
Vous le savez, je continue d’expérimenter les supports alternatifs au livre papier. Le livre numérique. Le livre audio. C’est une expérience riche, une manière différente d’aborder le livre. Même si j’ai longtemps été un forcené du livre papier, les limites qu’il impose à la circulation des idées et des textes m’impose de trouver d’autres approches. Ainsi, Audible me prélève 9 euro par mois et m’autorise à écouter trois à quatre romans.

Audible, Colson Whitehead et moi

J’avais commencé  l'écoute de La peste et le choléra de Patrick Deville. Une lecture faite par l’auteur lui-même. L’exercice n’est pas facile et je ne lui ai pas trouvé le talent de Mabanckou dans cette démarche. Aussi ai-je été tenté d’écouter la lecture d’Underground railroad de Colson Whitehead. Et là tout de suite, j’ai été embarqué. Est-ce la voix candide d’Aïssa Maïga qui m’a séduite ? Oui. Non. Oui. Le texte surtout. Bon  sang quel texte… En tout cas, la traduction est une réussite et la restitution de Maïga est sublime. De quoi est-il question ? Cora est une esclave dans une plantation de Georgie. C’est une post-adolescente au caractère trempé. Pour de très bonnes raisons. Sa mère est une des rares esclaves à s’être enfuie sans que les chasseurs de prime ne parviennent à la retrouver. Ce point est important. Très important. Cora a donc grandi avec cette absence, pour peu que l’on puisse que dans une plantation l’absence d’une mère soit difficile à gérer. Une des questions récurrentes qu’on entend à ce propos, c’est celle de savoir pourquoi cette mère est partie en laissant sa fille dans des conditions aussi extrêmes ? Le contexte de l’exploitation et des sociétés esclavagistes que décrit Whitehead donne tout de suite aux lecteurs des réponses. Cora a reçu de sa mère, malgré sa fragile constitution, un esprit rebelle qui ne tardera pas à s’exprimer avec des condition.

La plantation

Le chef d’oeuvre de Whitehead porte à la fois sur la description de la société esclavagiste américaine avec une esthétique dans la narration qui est exceptionnelle. Il décrit principalement la vie des esclaves. Le labeur. Les temps de réjouissance. Les conditions de logement. Les cohabitations. Les parcelles de pouvoir qui s’exercent entre eux. L’immiscion dangereuse des maîtres dans l’espace des esclaves. Les ventes. La flagellation des esclaves rebelles capturés suite à une tentative d'évasion. Le rôle des contremaîtres. Les formes d’instinct de survie dans un contexte aussi hostile. On arrive à lire les différents profils de traitements des esclaves par leurs maîtres. De la mansuétude et de l’ « altruisme » pour certains  à la perversité faite chère de ces exploitants, on constate une chose, le fait que le système est oppressant pour tous et que la protection supposée d’un bon maître n’est au fond qu’un leurre, une illusion qu’un décès prématuré ou une faillite peut remettre en cause.

La fuite et la traque

Si on devait retenir deux personnes de ce roman, il y a Cora, l’esclave en fuite et Ridgeway, le chasseur d’esclaves méticuleux, rigoureux, cynique. Ce roman est avant tout un texte sur une traque. Une traque féroce. Car Cora prend la clé des champs et des bois avec César. Comme sa mère, elle fuit vers le Nord en passant par des parcours et réseaux clandestins mis en place par d’anciens esclaves et des abolitionnistes. Elle fuit après les sévices de trop. Ridgeway fait de la traque des esclaves une essence de sa vie. Ce n’est même pas une question de haine. Il se voit avant tout comme le gardien d’un temple, d’une société oppressive. Un esclave doit être retrouvé mort ou vif pour que ses congénères comprennent que la fuite n’est pas une option envisageable. Ridgeway est donc comme une ombre. Quand dans certaines circonstances que je me garderais de vous raconter, on le pense défait, on sait qu’il resurgira. C’est intéressant d’entendre ce que Whitehead fait dire à ce suprémaciste. Je paraphrase puisque cet extrait est le fruit d’une écoute et non d’une lecture :  «  La domination blanche serait le fruit d’un plan divin car l’extermination des indiens et la soumission des esclaves noirs sont arrivés pour que s’accomplisse cette destinée, sinon il y aurait une plus forte opposition ». Je paraphrase fortement, mais l’idée est celle-là.

Ce que le texte nous dit de l’Amérique actuelle

La traque de Ridgeway me renvoie à la violence policière américaine actuelle à l’endroit des minorités colorées américaines. Et je ne force pas le trait. Ridgeway est dans son bon droit, il a un arsenal juridique à sa disposition, même quand un esclave arrive dans les états du Nord. Il peut disposer de la vie d’un esclave capturé comme il le souhaite. Il n’a aucun état d’âme. C’est une mécanique féroce, justifiée comme celle d’un policier revêtu de sa tenue. Ce qui l’identifie, c’est la collection d’oreilles qu’il porte avec un collier autour du cou. Ce que le texte nous dit aussi, c’est qu’il y a eu de nombreuses tentatives d’organisation des esclaves noirs libérés. L’underground railroad en est illustration même si, quand on regarde les statistiques, les esclaves ayant emprunté ces réseaux ne sont pas si nombreux que cela. Mais la brutalité du système fut telle que toute collaboration avec ces réseaux étaient trop dangereuses mêmes pour les blancs abolitionnistes. C’est surtout la destruction de toute forme de tentative d’organisation. Je pense particulièrement à une communauté dans laquelle Cora se réfugie dans l’Indiana. Et là, la problématique n’est pas seulement sudiste, elle n’est pas juste la démarche d’un chasseur d’esclaves zélé. Elle devient profondément communautaire. On pense aux émeutes de Tulsa en 1921 ou au Révérend Martin Luther King houspillé extrêmement violemment de ses expéditions dans les environs de Chicago.
Le molosse de Chamoiseau qui traque le vieil homme esclave est une métaphore de Ridgeway.
Cette violence primaire qui a autorisé l’extermination des amérindiens et l’oppression délibérée des populations africaines déportées pour servir d’esclaves est l’essence de l’Amérique. Une violence pour dominer. Une violence pour contenir. Une violence raciale.

Underground Railroad, un objet littéraire

A l’écoute, le texte est savoureux. Je n’ose pas imaginer une lecture patiente. J’ai beaucoup apprécié le jeu de la fiction. Surtout avec l’idée de ce réseau ferroviaire souterrain. qui traverserait des états entiers. On comprend que Colson Whitehead a voulu simplifier une partie de sa narration en la rendant poétique, imaginaire, semant le doute dans l’esprit du lecteur dont on peut joyeusement dénoncer l’incrédulité sur cet aspect du récit. Merci à Aïssa Maïga pour sa très belle lecture.
Colson Whitehead, Underground RailroadEditions  Albin Michel, Titre Original Underground Railroad 2016Prix Pulitzer 2016, National Book Award 2017Audible 

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