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Le Lambeau, de Philippe Lançon

Par Lacritiquante

Le 7 janvier 2015, dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo, deux hommes commettent une folie. Parmi les victimes, il y a Philippe Lançon. Il s’est pris des balles dans les bras et la mâchoire, un quart de son visage n’existe plus. Il attend les secours sans sentir la douleur, s’angoissant qu’on lui prenne son sac, observent la cervelle d’un collègue. Trois ans plus tard, il nous livre une œuvre magistrale, sublime, dure et indispensable : Le Lambeau. Cinq cents pages pour nous narrer sa reconstruction physique, une partie tout du moins, jusqu’aux prochains attentats.

Oui, on aborde l’attentat. C’est au début, c’est quelques pages. Mais Philippe Lançon aborde surtout l’après, mais aussi l’avant, ces souvenirs d’une personne qui n’est plus lui. Comment l’attentat et ses blessures ont modifiés ses rapports aux autres, avec son frère, ont touché son couple. Il nous parle beaucoup du roman Soumission de Houellebecq (que j’ai lu il y a peu) car ce roman était au cœur de la discussion pendant les attentats, il a une résonance particulière, autant vous dire que j’ai exactement compris de quoi voulait parler l’auteur… (si vous pouvez lire Soumission avant Le Lambeau, c’est donc une bonne idée). Il nous décrit ses amis ressortis des limbes, il nous raconte les mois sans parler armé d’une ardoise et d’un feutre Veleda. Avec lui, on passe des semaines dans sa chambre d’hôpital, dans le bloc opératoire également. C’est qu’il en a un des opérations spectaculaires, du genre qui bouleverse une vie. Le lecteur est stupéfié par cette chirurgie et on comprend alors le rapport de l’auteur avec sa chirurgienne, un lien à part et fort. Les soignants ont compté autant que sa famille pendant cette reconstruction et ils occupent une place importante dans ces pages.

C’est un récit incroyable. On est subjugué d’abord par ce côté voyeur qui veut en savoir plus et connaître les coulisses derrière les images qui ont tourné en boucle sur les chaînes d’informations. Mais très vite, on est emporté par la langue virtuose de cet auteur que je n’avais jamais encore lu. Il a une sorte de détachement étrange : il nous expose ses rares larmes, sa façon de visualiser l’attentat comme une séparation entre son avant et son maintenant, il nous décrit les soins et les pansements gorgés de salive. Il évoque sa peur de sortir de l’hôpital : il aimerait rester dans ce cocon où on prend soin de lui, où il connaît tout le monde, où des policiers veillent sur sa sécurité jour et nuit. On vibre en même temps que lui, on voit les jours passer au même rythme.

L’attentat s’infiltre dans les cœurs qu’il a mordus, mais on ne l’apprivoise pas. Il irradie autour des victimes par cercles concentriques et, dans des atmosphères souvent pathétiques, il les multiplie. Il contamine ce qu’il n’a pas détruit en soulignant d’un stylo net et sanglant les faiblesses secrètes qui nous unissent et qu’on ne voyait pas.

C’est un livre écrit avec une plume sensible, qui a le sens du détail et du mot juste. Au-delà de son sujet qui a lui seul peut vous donner une raison de le lire, il est indispensable par son style magistral, sa description de l’univers hospitalier du point de vue du blessé. Un récit vraiment poignant, que j’ai mis du temps à digérer mais que je regrette pas du tout d’avoir découvert.

Philippe Lançon, Le Lambeau, aux éditions Gallimard, 21€.


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